Aller au contenu principal
Panthéon Charivarique - Gilbert-Louis Duprez

Panthéon Charivarique - Gilbert-Louis Duprez

Date de création : 1838

Date représentée : 1838

H. : 35,5 cm

Lithographie.

Domaine : Estampes-Gravures

Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica

Lien vers l'image

La naissance du mythe du ténor

Date de publication : Décembre 2005

Auteur : Catherine AUTHIER

La première moitié du XIXe siècle connaît un véritable engouement pour la musique en général et l’art du chant en particulier. La mode du spectacle musical ne concerne plus uniquement une société d’élite, mais constitue un fait d’époque, comme l’illustre cette gravure parue dans le journal Le Charivari. La place consacrée aux comptes-rendus des représentations et aux artistes eux-mêmes dans la presse parisienne est révélatrice de l’intérêt que la société porte à la musique, sans compter l’existence de journaux spécialisés. Dans une soif de divertissement, les théâtres lyriques attirent un public qui ne cesse de s’élargir sous la Restauration et la monarchie de Juillet. La musique et les musiciens commencent à assumer dans la société et la culture, voire, pour quelques rares cas, en politique, un rôle influent qui n’appartenait auparavant qu’aux gens de lettres. Dans ce cadre, les chanteurs solistes acquièrent un prestige incomparable, à une période d’âge d’or pour les interprètes.

Cette caricature de Gilbert-Louis Duprez, le plus célèbre ténor du XIXe siècle, illustre un événement musical qui eut un retentissement extraordinaire à l’époque. Elle évoque la représentation du fameux Guillaume Tell de Rossini qui fut donnée le 17 avril 1837 et vit les débuts de Duprez à l’Opéra dans le rôle d’Arnold. Accueillie avec enthousiasme et considérée, lors de sa première le 3 août 1829, comme le premier opéra romantique de la scène française, l’œuvre était pourtant sur le déclin, de moins en moins jouée et de plus en plus mutilée. Mais elle allait connaître une nouvelle carrière grâce à Duprez et à son fameux « ut de poitrine », véritable révolution dans l’art du chant. En effet, voulant caractériser le sommet émotif de sa phrase musicale, Duprez lança ce son avec une puissance expressive jusqu’alors inédite et, l’accompagnant d’une gestuelle extravagante, provoqua un effet immense sur le public. Le chanteur semble saisi sur le vif, au milieu de son air de bravoure, une main sur le cœur, l’autre lancée dans un geste déclamatoire. Le quatrain qui illustre l’image rend hommage à l’interprète : « Duprez vous ouvre ici le gouffre d’où s’élance, un torrent d’harmonie à grands flots ruisselant. La bouche en lui n’est pas ce qu’on eut [sic] fait immense, si le crayon pouvait peindre aussi le talent. » Parallèlement à cet éloge, l’artiste a voulu rendre avec humour toute l’intensité de l’effort physique fourni par le chanteur pour produire cette note : son thorax est bombé, ses yeux grands ouverts, sa bouche béante, l’ensemble exprimant une émission forcée.

Cette image est très représentative des valeurs de son époque. Elle témoigne de tout le débat autour de l’expressivité romantique et illustre les excès passionnés des artistes, prêts à commettre toutes les erreurs techniques possibles à des fins esthétiques. Le chant virtuose est alors à son sommet et le prodige vocal est la règle. L’ut de poitrine devient l’emblème du ténor héroïque. Il ne s’agit plus d’émettre cette note suraiguë en voix de tête, comme il était d’usage auparavant, mais de produire artificiellement un son plein et puissant qui exige du chanteur un effort extrêmement violent et que Rossini qualifiait de « cri de chapon égorgé ». Le compositeur avait d’ailleurs initialement destiné ce rôle à Adolphe Nourrit, ténor à la voix claire et étendue qui, dans la tradition du haute-contre à la française héritée du XVIIIe siècle, pratiquait un chant doux et léger. Duprez imposa au contraire ce soir-là un chant large et héroïque, reposant sur la véhémence et le volume, et représente ainsi le premier ténor moderne. Inventeur de l’ut de poitrine et d’un nouveau style expressif, Duprez incarne pleinement les valeurs du romantisme au point de vue musical. À partir de ce jour, le ténor de grâce poétique, à la Nourrit, fut banni du Grand Opéra, et Duprez devint l’interprète idéal du romantisme. Grâce à lui, Guillaume Tell resta durablement au répertoire. S’il ne fut pas le premier à utiliser cette technique, il eut l’opportunité de l’employer dans un contexte historique favorable, à une époque où le monde théâtral recherchait des sonorités vocales toujours plus puissantes, et une corde expressive toujours plus intense. Le mythe du ténor était né.

Damien COLAS, Rossini, l’opéra de lumière, Paris, Gallimard, coll. « Découvertes », 1992.Joël-Marie FAUQUET (dir.), Dictionnaire de la musique en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2003.

Catherine AUTHIER, « La naissance du mythe du ténor », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 01/04/2025. URL : https://histoire-image.org/etudes/naissance-mythe-tenor

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Vichy et la propagande

Vichy et la propagande

La Ligue française anti-britannique et les événements de Dakar.

Du 23 au 25 septembre 1940, les Forces françaises libres du Général de Gaulle…

Perfide Albion

Perfide Albion

Le Royaume-Uni attaque la France

Les ports coloniaux de Dakar et Mers el-Kébir ont accédé brutalement à la notoriété en 1940 quand deux…

Perfide Albion
Perfide Albion
Perfide Albion
La naissance du mythe du ténor

La naissance du mythe du ténor

La première moitié du XIXe siècle connaît un véritable engouement pour la musique en général et l’art du chant en particulier. La mode du…

« Y’a bon » Banania

« Y’a bon » Banania

L’appel à l’empire

Délaissant l’Antillaise de ses premières affiches, la marque Banania (1914), qui cherche à transformer en produit patriotique…

Daumier  et les critiques d’art

Daumier et les critiques d’art

Le Salon et la puissance de la critique

Au début du XIXe siècle, le Salon annuel de peinture et de sculpture a acquis une importance…

Daumier  et les critiques d’art
Daumier  et les critiques d’art
La France vaincue

La France vaincue

La victoire de la Prusse à Sedan le 2 septembre 1870 entraîne l’effondrement du Second Empire. Deux jours plus tard, la déchéance de la famille…

La France vaincue
La France vaincue
La France vaincue
Une figure de son temps : Ferdinand de Lesseps

Une figure de son temps : Ferdinand de Lesseps

De l’actualité à la postérité

Diplomate et entrepreneur, Ferdinand de Lesseps (1804-1895) s’est rendu célèbre pour avoir dirigé la construction…

Une figure de son temps : Ferdinand de Lesseps
Une figure de son temps : Ferdinand de Lesseps
Une figure de son temps : Ferdinand de Lesseps
Marie Curie et la presse

Marie Curie et la presse

Marie Curie, femme de science

Marya Sklodowska est née à Varsovie, en 1867, en Pologne alors partie intégrante de l’Empire russe et décède en…

Marie Curie et la presse
Marie Curie et la presse
Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier

Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier

L’oligarchie de Juillet

Fragmentés en groupes concurrents, les parlementaires n’en constituaient pas moins une entité d’une exceptionnelle…

Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier
Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier
Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier
Nadar, l’art et la photographie

Nadar, l’art et la photographie

La photographie prend son envol

Le tournant des années 1850-1860 marque une étape cruciale quoiqu’en partie méconnue dans l’histoire de la…