Détenu à Hinzert.
La fuite devant la matraque.
Détenu à Hinzert.
Auteur : DALIGAULT Jean
Lieu de conservation : musée de la Résistance et de la Déportation (Besançon)
site web
Date de création : 1942
Date représentée : 1942
H. : 8,5 cm
L. : 5,6 cm
Papier journal, peinture à l'huile
Domaine : Peintures
© Collection Centre Pompidou, Dist. RMN - Grand Palais / Philippe Migeat
07-521366 / AM1728D(10)
Jean Daligault, un artiste détenu
Date de publication : Février 2012
Auteur : Alexandre SUMPF
La Résistance, des armes au dessin
Né à Caen en 1899, Jean Daligault entre dans les ordres en 1917 et est ordonné prêtre en 1924. Également peintre et graveur, il rejoint la Résistance dès 1940, opérant pour la branche caennaise du réseau « Armée Volontaire ». Arrêté le 31 août 1941, il est détenu à Fresnes, jugé puis transféré en 1942 au camp de Hinzert, près de Trèves (Rhénanie-Palatinat), où il reste jusqu’en mars 1943. Après d’autres séjours dans diverses prisons allemandes, il est assassiné à Dachau le 28 avril 1945, la veille de la libération du camp.
Dans sa cellule de Trèves, Daligault va peindre, avec le peu de moyens dont il dispose, divers sujets et ses souvenirs de Hinzert. Les morceaux de papier journal sont enduits avec un mélange de chaux prise au mur et de soupe, cette préparation permettant de rigidifier le support et d’en masquer le texte. Pour les couleurs, il obtient des teintes chaudes avec de la rouille, du blanc avec du savon, du vert et du noir avec de la peinture grattée sur les murs puis réduite en poudre et délayée dans de la soupe.
Conservée par l’abbé Jonas, aumônier de la prison de Trèves, une part importante de son œuvre constitue un témoignage historique, artistique et humain exceptionnel. Parmi ces images figurent les deux peintures Détenu à Hinzert et La Fuite devant la matraque, toutes deux réalisées au camp de Hinzert en 1943.
Portraits de détenus
Exécutées à la peinture à l’huile sur du papier journal, ces deux œuvres présentent des similitudes dues au manque de couleur (en variété comme en quantité) et à la nature du support.
Détenu à Hinzert est le portrait en buste d’un compagnon d’internement, reconnaissable à ses vêtements et à son calot. Tout en lignes et en arêtes, le visage amaigri dessine un triangle dont émergent les oreilles saillantes. Le détenu fixe sur le spectateur un regard d’une douloureuse intensité, et ses yeux sont ici réduits à des ombres presque sans fond.
Plus allégorique et moins figuratif, La Fuite devant la matraque montre la course confuse et précipitée d’un groupe de détenus qui tentent d’échapper à la matraque brandie par un gardien à peine visible sur la droite. Quelques obliques plus ou moins noires suffisent à Daligault pour dire la maigreur des corps, la terreur que l’arme inspire à ces hommes.
Détenus à Hinzert : des esquisses et des ombres
Détenu à Hinzert et La Fuite devant la matraque livrent tout d’abord un témoignage sur les conditions de vie réservées aux détenus dans les camps. Mais ces peintures présentent aussi une forte valeur esthétique, spirituelle et symbolique : à travers la représentation des corps, elles interrogent l’âme, le néant, la mort, le mal et la survie. Enfin et comme dans d’autres cas, la création artistique en captivité est aussi un moyen, pour l’auteur, de préserver des espaces de liberté individuelle.
Ainsi, La Fuite devant la matraque où les corps semblent presque devoir se décomposer, se briser, se disloquer dans l’affolement de la fuite. La confusion des bustes donne l’impression d’une masse indistincte où les âmes et les individus s’effacent. Cependant, au creux même de cet anéantissement, la volonté d’échapper aux coups évoque encore la vie, tandis que la mêlée des corps, se faisant aussi réunion, renverrait à la solidarité irréfléchie et instinctive d’un réflexe de survie.
Une individualité digne et entière, une âme qu’exprime à l’inverse Détenu à Hinzert. Ici, le regard du prisonnier évoque les ténèbres et la mort, plongeant le spectateur dans l’ombre de ses yeux. Cette expérience presque métaphysique de l’interrogation angoissée sur le néant se double de celle sur la cruauté et le mal (qui sont aussi dans ce noir sans fond) puisque le visage exprime aussi une certaine colère accusatrice.
Centenaire de la naissance de Jean Daligault, 1899-1945, Direction des Archives du Calvados, Caen, 1999.
DE LA MARTINIERE, Joseph, Mon témoignage de déporté N.N., tome II : Hinzert, Paris, FNDIRP, 1989.
DORRIERE, Christian, Cinq ans d’Enfer et Cinquante de purgatoire, tome I : Jean Daligault, une page de la résistance à Caen, Caen, 1995.
DORRIERE, Christian, L’Abbé Jean Daligault - Un peintre dans les camps de la mort, Le Cerf, « Collection Epiphanie », 2001.
Jean Daligault Peintures et Sculptures, introduction de Madame Lorach, Musée de la Résistance et de la Déportation de Besançon, éditions de la Martinière, Paris, 1996.
Alexandre SUMPF, « Jean Daligault, un artiste détenu », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/jean-daligault-artiste-detenu
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