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Portrait de Louis II, prince de Bourbon, surnommé le Grand Condé

Portrait de Louis II, prince de Bourbon, surnommé le Grand Condé

Date de création : 1654-1658

Date représentée :

H. : 146 cm

L. : 110 cm

Huile sur toile.

Domaine : Peintures

©GrandPalaisRmn (Domaine de Chantilly) / René-Gabriel Ojeda

Lien vers l'image

PE 131 - 02-000221

Le prince de Condé

Date de publication : mai 2014

Auteur : Jean HUBAC

Le prince et le peintre

Le 19 mai 1643, le jeune Louis II de Bourbon, duc d’Enghien, fils aîné du prince de Condé et cousin du roi de France, remportait une victoire décisive contre les Espagnols à Rocroi, dans le nord de la France. C’était le début d’une carrière prestigieuse, au cours de laquelle il démontra son charisme et son génie tacticien, qui lui valut le surnom de Grand Condé – il devint effectivement prince de Condé et premier prince du sang à la mort de son père en 1646. Soucieux de sa gloire, le prince s’attira le concours d’artistes de talent pour vanter ses mérites – et passer sous silence les défauts que dénonçaient de nombreux contemporains (irascibilité, impétuosité, libertinage). Sa participation à la Fronde des princes de 1650 à 1652 le contraignit à s’exiler aux Pays-Bas, d’où il servit l’Espagne contre la France. C’est là qu’il renoua sans doute avec Juste d’Egmont (1601-1674), peintre flamand qu’il avait déjà croisé à Paris durant les années 1640.

En effet, Juste d’Egmont – Joost Verus Van Egmont – avait séjourné à Paris dès 1628, après avoir été l’élève de Rubens. Son talent et ses relations artistiques et politiques lui ont valu d’être un des membres fondateurs de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648. Peintre apprécié, c’est surtout en qualité de portraitiste, de la famille royale et des grands du royaume, qu’il connut le succès.

On ignore à quel moment précis il peignit le portrait du Grand Condé. Les traits du visage de Louis II de Bourbon sont ceux de la maturité, et non ceux de la jeunesse impétueuse qu’avait le duc à Rocroi. Il faut sans doute y voir la représentation du modèle au moment de la réalisation du tableau, soit durant les années 1650, période de l’exil condéen aux Pays-Bas, où Juste d’Egmont est retourné à partir de 1649, ou plus certainement de 1653. Condé quant à lui regagne la France à la fin de l’année 1659, à la faveur du traité franco-espagnol des Pyrénées. On peut donc penser que ce portrait a été peint en 1657 ou 1658, si on le rapproche d’une mention faite dans la correspondance du prince.

L’écharpe bleue portée par le prince ne renvoie pas à l’ordre du Saint-Esprit, auquel il n’accéda qu’en 1661, après son retour en grâce. D’autres tableaux des années 1640 et 1650 (Jean Tassel 1646-1647, David Teniers 1653) qui représentent le prince le peignent avec une écharpe bleue. Une copie de notre portrait datée de 1665 le montre avec l’écharpe bleue ET le cordon de l’ordre du Saint-Esprit.

Un portrait de cour sur fond de bataille

La toile se compose de deux plans nettement séparés. Au premier plan, le duc d’Enghien, dont le profil aquilin est nettement identifiable, pose nonchalamment accoudé à un piédestal sur lequel repose son casque et fixe le spectateur du regard. Armé d’une épée, il porte une riche armure articulée et immaculée – dont l’usage disparaît peu à peu au XVIIe siècle – et brandit un bâton de commandement en direction de la scène de l’arrière-plan, exprimant ainsi sa domination sur les événements qu’elle représente. Sa perruque bouclée et l’écharpe bleue portée en bandoulière en font un chef militaire d’apparat que l’air déterminé mais quiet renforce. Sa localisation dans ce qui semble être l’entrée d’une cavité naturelle contraste avec un portrait inscrit dans les codes du portrait de cour et renforce la sensation de détachement par rapport à l’arrière-plan.

En bas à gauche, un combat de cavalerie oppose des Français chargeant vaillamment à des Espagnols contraints de prendre la fuite dans un nuage de fumée. La relégation du combat à l’arrière-plan et dans la partie inférieure du tableau fait ressortir par contraste la grandeur et la maîtrise du duc, dont le bras étendu et prolongé du bâton de commandement surplombe toute la scène de guerre. Cette maîtrise et cette certitude permettent de s’abstenir de tout signe explicite de victoire. La toile célèbre en elle-même un général victorieux et glorieux dont les mérites peuvent rester implicites sans craindre d’être incompris.

Le tableau est donc bien une démonstration, celle de la grandeur du prince par le peintre, et celle de la bataille victorieuse par le prince lui-même. Juste d’Egmont a d’ailleurs utilisé l’argument de la bataille de Rocroi pour peindre d’autres portraits du Grand Condé, en particulier une toile à la composition d’ensemble identique mais où le prince apparaît dans un costume romain fantaisiste (tunique dorée, grande cape enveloppante rouge, bras dénudés) et où la scène de bataille se déroule au pied de la forteresse de Rocroi. Il a aussi représenté Condé en général antique en 1645, en jouant sur l’amalgame littéraire avec Alexandre le Grand, comme le fera le peintre Jean Tassel pour célébrer la prise de Dunkerque l’année suivante. Ce choix n’a pas été repris ici, puisque la représentation ne fait aucune référence à l’Antiquité et cherche au contraire un ancrage dans le contemporain. L’absence de référence précise à une bataille – même s’il est fort probable qu’il s’agisse bien de la victoire fondatrice de Rocroi, comme le rappelle la copie de 1665 – permet aussi de rendre intemporels les succès militaires du prince de Condé.

Une apologie du Grand Condé

Juste d’Egmont ne cherche pas à représenter la guerre, réduite ici au général victorieux et à la charge de cavalerie – dont le rôle lors de la bataille de Rocroi fut effectivement déterminant. Il inscrit en revanche son œuvre dans la tradition de l’apologie condéenne. C’est bien le prince qui commanda plusieurs portraits de lui-même, à David Teniers et surtout à Egmont pendant les années 1650, à d’autres à partir des années 1660, et qui en fit exécuter des copies. L’art devait faire l’apologie du prince et gommer les déboires des années 1650, au cours desquels Condé tourna son talent militaire contre la France. De son retour fin 1659 à sa mort en 1686, le prince combattit à nouveau au service du roi tout en se consacrant de plus en plus exclusivement à son domaine de Chantilly, où il entretenait une cour brillante.

Les succès condéens sont d’autant plus louables aux yeux de bon nombre de contemporains qu’ils permettent de sauver à plusieurs reprises le royaume de l’invasion ou de la défaite – à Rocroi en 1643 ou à Lens en 1648 pendant la guerre de Trente Ans, à Paris en 1649 pendant la Fronde, sans compter les campagnes victorieuses des années 1660 et 1670. De nombreux artistes contribuèrent eux aussi à l’apologie condéenne, jusqu’à Bossuet qui évoque « cet autre Alexandre » peint en héros magnifique et magnanime dans son Oraison funèbre du prince de Condé. Pourtant, Juste d’Egmont choisit ici volontairement d’abandonner la référence antique à Alexandre, le Grand Condé se suffisant à lui-même comme modèle de perfection militaire. Quelques années plus tard, Louis XIV fera opérer la même mue à Versailles, du référentiel antique à l’autoréférentiel.

Mise en valeur d’un succès difficilement comparable, le portrait du Grand Condé par Juste d’Egmont connaît lui-même un grand succès. Il est diffusé par la gravure, les copies, voire les objets – le musée Condé de Chantilly conserve par exemple une boîte dont le couvercle est orné d’une copie miniature de ce portrait.

BÉGUIN Katia, Les princes de Condé. Rebelles, courtisans et mécènes dans la France du Grand Siècle, Champ Vallon, Seyssel, 1999.

BERTIÈRE Simone, Condé, le héros fourvoyé, Paris, Éditions de Fallois, 2011.

Jean HUBAC, « Le prince de Condé », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/prince-conde

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