Les Romains de la décadence.
Siècle d'Auguste : naissance de N.S. Jésus Christ
Réception du Grand Condé par Louis XIV
L'Excommunication de Robert le Pieux, 998
Les Romains de la décadence.
Auteur : COUTURE Thomas
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
H. : 472 cm
L. : 772 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - H. Lewandowski
92-000335 / INV3451
L’Art académique et la peinture d’histoire
Date de publication : Février 2011
Auteur : Charlotte DENOËL
La peinture d’histoire, un genre noble
Quand il formula les théories du classicisme en 1667, André Félibien plaça la peinture d’histoire au sommet de la hiérarchie des genres. Au XIXe siècle, époque où l’histoire tient une place cruciale à la fois dans la culture romantique et dans les usages politiques, ce genre toujours considéré comme noble par excellence reste un des fondements de l’enseignement académique.
À l’École des beaux-arts, l’apprentissage de la technique est complété par des cours de théorie, parmi lesquels des cours d’histoire générale, d’antiquité et d’archéologie. Les sujets des tableaux proposés pour le prix de Rome de peinture continuent d’être tirés de l’histoire classique, de la mythologie ou de la Bible, et celui qui en remporte le grand prix annuel est assuré d’une carrière couronnée d’honneurs officiels. Particulièrement abondantes durant la première moitié du XIXe siècle, les commandes de l’État contribuent à prolonger la suprématie des thèmes historiques. Toutefois, la seconde moitié du siècle voit la hiérarchie académique des genres s’effacer quand la peinture d’histoire évolue dans un sens plus intimiste, s’humanise en s’ouvrant à l’anecdote, ce qui lui permet de se rapprocher d’un public dont elle s’était depuis longtemps éloignée.
Un style de plus en plus anecdotique
Au début du XIXe siècle, les néoclassiques, héritiers de David, s’inscrivent dans la continuité de leur maître. Défenseurs acharnés de la tradition académique, ils continuent à exalter la peinture d’histoire qu’ils utilisent à des fins d’édification. Il s’agit pour ces peintres d’illustrer une leçon de morale, de mettre en scène des vertus, d’idéaliser les héros ou de stigmatiser les mœurs de leur temps. Thomas Couture (1815-1879) a ainsi conquis la célébrité avec Les Romains de la décadence, toile monumentale peinte en 1847. À travers cette scène d’orgie inspirée des vers de Juvénal « Plus cruel que la guerre, le vice s’est abattu sur Rome et venge l’univers vaincu », cet élève de Gros a voulu faire allusion à la décadence morale qui règne sous la monarchie de Juillet, affaiblie par une série de scandales. Dans cette allégorie réaliste, le peintre se sert de la fin d’un monde pour critiquer le sien propre.
Loin de cette vision édifiante de l’histoire, Jean-Léon Gérôme (1824-1904) est un fervent adepte de la reconstitution à caractère archéologique. Son goût du détail et sa minutie font de lui le chantre de la peinture réaliste. Faisant suite à une commande de l’État pour l’Exposition universelle de 1855, sa toile Siècle d’Auguste : naissance de N. S. Jésus-Christ s’inscrit dans la tradition de la grande peinture d’histoire. Inspirée d’un passage de Bossuet sur la Pax romana sous Auguste et de l’Apothéose d’Homère d’Ingres, l’un des maîtres de Gérôme, cette peinture veut donner au spectateur le sentiment d’être un témoin direct du passé.
Le succès mitigé qu’a rencontré le Siècle d’Auguste : naissance de N. S. Jésus-Christ pousse par la suite Gérôme à privilégier la petite histoire. En 1878, il peint ainsi L’Accueil du Grand Condé par Louis XIV à Versailles, œuvre aux dimensions imposantes. À travers un tel sujet – l’allégeance tardive du prince de Condé à son souverain –, c’est la comédie du pouvoir, bien connue de lui, que le peintre veut mettre en scène de la manière la plus vivante possible. Le monumental escalier des Ambassadeurs, démoli sous Louis XV et scrupuleusement reconstitué par Gérôme, organise toute la composition d’une manière théâtrale. D’une grande variété, les riches costumes témoignent aussi bien de ses connaissances que de son penchant pour l’anecdote. Ce goût pour la reconstitution et la précision se retrouve dans les toiles où Jean-Paul Laurens (1838-1921) a illustré des sujets historiques.
À la différence de Gérôme, Laurens privilégie les sujets tragiques qui impliquent des personnages dont il s’attache à traduire les sentiments, ainsi dans L’Excommunication de Robert le Pieux, datée de 1875. Dans cette œuvre célèbre, le peintre a représenté le moment où, en 998, Robert le Pieux vient d’être excommunié pour avoir refusé de répudier sa seconde épouse, Berthe. Demeuré seul avec elle, le roi fixe le vide, en proie à un terrible dilemme, tandis que les représentants du pape quittent la salle du trône. Sur le sol gisent le sceptre qu’il a laissé échapper de ses mains ainsi que le cierge encore fumant qui a été soufflé et posé à terre selon le rituel symbolique de l’excommunication. Ce sujet est l’occasion pour Laurens de dénoncer l’intransigeance religieuse des siècles passés et de son époque comme de montrer sa connaissance de l’architecture médiévale dans sa minutieuse représentation du portail par lequel sortent les évêques.
Renouvellement de la peinture d’histoire
Ces œuvres de Gérôme et de Laurens illustrent bien l’évolution qui affecte la peinture d’histoire depuis la Restauration. Discréditée pour sa dimension pompeuse et idéalisante qui l’éloignait du grand public, elle ne pouvait être temporairement sauvée que par un assouplissement des frontières entre les genres et par la contamination de la peinture de genre.
Paul Delaroche fut le premier à tenter de rendre le fait historique plus accessible par le biais du réalisme archéologique et de l’expression des sentiments humains. Gérôme et Laurens, qui l’admiraient tous deux beaucoup, ont exploré les pistes tracées par ce peintre, en humanisant chacun à leur manière la peinture d’histoire.
Leur démarche doit être mise en parallèle avec le renouvellement de l’approche historique au XIXe siècle. Désormais considérée comme une discipline scientifique à part entière, l’histoire se modifie en profondeur sous l’influence des grands historiens de la période romantique, Augustin Thierry et Jules Michelet en particulier (dont Gérôme et Laurens furent des lecteurs assidus, le second surtout, qui illustra les Récits des Temps mérovingiens de Thierry). Rompant avec la tradition moralisante, ces historiens entendent privilégier l’étude critique des sources et hisser l’histoire au niveau des sciences pures, tout en adoptant une narration très vivante des faits.
L’école positiviste, qui fait son apparition dans le dernier tiers du XIXe siècle, renforce la nécessité d’écrire une histoire objective, centrée sur les événements et sur les documents d’archives. Si la peinture d’histoire a alors trouvé un second souffle grâce à cette nouvelle approche, perceptible par exemple dans les toiles de Laurens, elle est tombée en désuétude au siècle suivant.
Laurence DES CARS, Dominique DE FONT-RÉAULX et Édouard PAPET (dir.), catalogue de l’exposition Jean-Léon Gérôme (1824-1904). L’histoire en spectacle, musée d’Orsay, Paris, 19 octobre 2010-23 janvier 2011, Paris, Musée d’Orsay-Skira-Flammarion, 2010.
Laurence DES CARS et Alain DAGUERRE DE HUREAUX (dir.), catalogue de l’exposition Jean-Paul Laurens (1838-1921). Peintre d’histoire, musée d’Orsay, Paris, 6 octobre 1997-4 janvier 1998, musée des Augustins, Toulouse, 2 février-4 mai 1998, Paris, R.M.N., 1997.
Albert BOIME, Thomas Couture and the eclectic vision, New Heaven-Londres, Yale University Press, 1980.
Pompier : Adjectif qui désigne de manière ironique l’art officiel de la seconde moitié du XIXe siècle. Le terme fait référence aux pompiers qui surveillaient le Salon. Leur casque et leur uniforme chamarré rappelaient le goût de ces artistes académiques pour les représentations fantaisistes de l’Antiquité.
Charlotte DENOËL, « L’Art académique et la peinture d’histoire », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/art-academique-peinture-histoire
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momollo
bonjour
ce site est bien mais ne parle pas assez des nuances et des lumières. dommage
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