Ballet royal de la Nuit. Louis XIV en Apollon
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : Bibliothèque nationale de France (BnF, Paris)
site web
Date de création : 1652-1655
Date représentée : Février-mars 1653
H. : 27,2 cm
L. : 17,8 cm
Costume pour le Soleil levant, dansé par Louis XIV.
Aquarelle et mine de plomb.
Domaine : Dessins
Bibliothèque Nationale de France - Domaine public © Gallica
RESERVE QB-201 (41)-FOL
Le roi danse : Louis XIV et la mise en scène du pouvoir absolu
Date de publication : Septembre 2013
Auteur : Gabriella ASARO
Le ballet de cour, un divertissement politique
La grande tradition des ballets de cour en France fut inaugurée par le Ballet comique de la Reine (1581), créé par l’Italien Baldassarre da Belgioioso (Balthasar de Beaujoyeulx) à la cour de Catherine de Médicis. Entre 1581 et 1670, les ballets de cour contribuèrent à former le courtisan idéal ; l’essayiste Jean-Marie Apostolidès observe qu’« en préparant ces spectacles, les privilégiés des trois ordres prennent conscience de former un groupe qui possède un goût commun. Le monarque s’y produit souvent, au sens où l’on dit d’un comédien qu’il se produit sur scène, mais également au sens où le prince produit sa propre image solaire dans la représentation ». La danse fut, en effet, un véritable instrument politique dans les mains de Louis XIV (1638-1715). À l’instar de son père Louis XIII, qui se plaisait à régler lui-même les ballets, le jeune souverain s’entraînait régulièrement et, depuis l’âge de treize ans, se produisait dans des spectacles à la cour.
En février 1653, la reine mère Anne d’Autriche et le cardinal Mazarin assistèrent au triomphe de Louis XIV dans le Ballet royal de la Nuit, présenté au Petit-Bourbon. Le ballet fut ordonné par le sieur Clément, intendant du duc de Nemours, sur un livret de Benserade, avec des musiques de Cambefort, Boesset et Lambert, les chorégraphies de Raynal, Vertpré et Dolivet, les décors de Giacomo Torelli ainsi que de somptueux costumes, en parfait accord avec le goût du faste qui caractérisait déjà Louis XIV.
Le jeune roi interpréta six rôles, entouré des plus hautes personnalités de la cour, comme Monsieur, le duc d’York et le duc de Buckingham, et de danseurs professionnels, dont Beauchamps, Des-Airs, Mollier et Lully. Le ballet connut un franc succès et fut repris les 25 et 27 février, puis les 2, 4, 6 et 16 mars, devant un public où figuraient de nombreux diplomates étrangers. Trois décennies plus tard, le père Ménestrier, responsable des ballets et des tragédies dans plusieurs collèges jésuites, se demandait, dans son traité Des ballets anciens et modernes selon les règles du théâtre (1682), « si jamais notre théâtre représentera rien d’aussi accompli ».
Le Ballet royal de la Nuit se composait de quarante-cinq entrées, divisées en quatre veilles, où des épisodes allégoriques, mythologiques, exotiques et chevaleresques alternaient avec des scènes pittoresques et comiques, à la ville et à la campagne. À la fin de la quatrième veille, l’Étoile du point du jour (Monsieur) apparaissait sur la scène, suivie de l’Aurore dans son char portant la rosée et les douze heures du jour ; puis tous se retiraient lorsque le Soleil levant (le roi) apparaissait, annoncé par le récit de l’Aurore : « Le Soleil qui me suit c’est le jeune LOUIS. » Le roi dansait ensuite le « grand ballet » final, accompagné des génies de l’Honneur, de la Grâce, de l’Amour, de la Valeur, de la Victoire, de la Renommée, de la Justice et de la Gloire.
Rien ne permet d’identifier l’auteur des costumes de scène, et il en va de même pour l’auteur de la gouache représentant Louis XIV en Apollon. Le dessin annonce le style d’Henri Gissey (1621-1673), mais cette attribution a été démentie. Dans la phase de préparation des spectacles, il était courant de dessiner costumes et décors avant de les confectionner.
Louis XIV et les deux visages d’Apollon
Cette gouache suscite cependant un intérêt particulier car, bien qu’il ne s’agisse pas d’un portrait officiel et que sa réalisation relève du style typique des dessins des costumes de scène, elle offre un véritable portrait de Louis XIV, le visage du jeune roi étant tout à fait reconnaissable.
Le souverain, sans masque ni perruque, avance sur la scène avec élégance et dignité : ses bras ouverts et ses mains gracieusement levées, paumes vers le bas, soulignent l’équilibre dont il se veut l’emblème absolu. La position des jambes et des pieds fut reprise un demi-siècle plus tard par Hyacinthe Rigaud dans le portrait officiel du roi.
Du diadème orné de plumes jusqu’aux souliers, le costume de scène reprend de manière obsessionnelle le motif du soleil rayonnant, mis en évidence par la couleur dorée. Au-delà de son luxe, cette tenue renvoie à la double signification allégorique du personnage incarné, plus qu’interprété, par Louis XIV : Apollon, le dieu du soleil et des arts. Une lumière aussi bien physique qu’intellectuelle se dégage du jeune roi, enfant miraculeux par sa naissance inespérée, appelé à un grand destin qui est aussi celui de la France selon la théorie du double corps (physique et symbolique) du roi, comme l’affirmait Louis XIV lui-même : « La nation ne fait pas corps en France, elle réside tout entière dans la personne du roi. »
L’idéologie mise en scène
Après la représentation du Ballet royal de la Nuit, Louis XIV fit du soleil son emblème favori. La danse demeura l’une de ses plus grandes passions, comme l’atteste la fondation, en 1661, de l’Académie royale de danse, qui précéda de huit ans l’institution de l’Académie royale de musique ; cependant, la professionnalisation de la danse d’un côté, les affaires de l’État de l’autre, poussèrent le roi à faire ses adieux à la scène en 1670, dans la comédie-ballet de Molière et Lully Les Amants magnifiques, où il dansa – seulement pour la première représentation – les rôles de Neptune et d’Apollon.
Le ballet de cour avait désormais accompli sa mission : faire du spectacle une « idéologie concrétisée », selon l’expression d’Apostolidès, et affirmer dans l’imaginaire collectif la figure de Louis XIV en monarque absolu à travers l’allégorie du Soleil triomphant.
Jean-Marie APOSTOLIDÈS, Le Roi-machine. Spectacle et politique au temps de Louis XIV, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Arguments », 1981.
Philippe BEAUSSANT, Louis XIV artiste, Paris, Payot, coll. « Portraits intimes », 1999.
Philippe BEAUSSANT, avec la collaboration de Patricia BOUCHENOT-DÉCHIN, Les Plaisirs de Versailles. Théâtre et musique, Paris, Fayard, coll. « Les chemins de la musique », 1996.
Marie-Françoise CHRISTOUT, Le Ballet de cour sous Louis XIV. 1643-1672. Mises en scène, Paris, Picard, Centre national de la danse (coll. « Nouvelle librairie de la danse ; La vie musicale en France sous les rois Bourbons », no 34), 2005.
Jean-Christian PETITFILS, Louis XIV, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2002.
Académie des beaux-arts : Créée en 1816 par la réunion de l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648, de l’Académie royale de musique, fondée en 1669, et de l’Académie royale d’architecture, fondée en 1671. Institution qui rassemble les artistes distingués par une assemblée de pairs et travaillant le plus souvent pour la couronne. Elle définit les règles de l’art et du bon goût, forme les artistes, organise des expositions.
Gabriella ASARO, « Le roi danse : Louis XIV et la mise en scène du pouvoir absolu », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/roi-danse-louis-xiv-mise-scene-pouvoir-absolu
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