Fête du 14-Juillet à Cherbourg.
Auteur : ANONYME
Lieu de conservation : Le Mémorial de Caen (Caen)
site web
Date de création : 1944
Date représentée : 14-juil-44
Photographie
Domaine : Photographies
© NARA / Le Mémorial de Caen
4749 BM
Le bal de la liberté
Date de publication : Décembre 2013
Auteur : Alexandre SUMPF
Cherbourg fête sa libération
Après le débarquement du 6 juin 1944, les troupes alliées progressent dans le Cotentin. À la tête de plusieurs divisions essentiellement américaines, le général Collins lance l’assaut sur Cherbourg le 22 juin. Suite à de terribles combats qui font de lourdes pertes des deux côtés et plus de 39 000 soldats allemands prisonniers, la ville est reprise le 26 juin (le port et l’arsenal ne passant définitivement sous contrôle que le 1er juillet). Essentielle du point de vue militaro-stratégique (le port devient la principale plaque tournante du ravitaillement des armées engagées sur le front ouest), la victoire a aussi une forte valeur emblématique, Cherbourg devenant en effet la première ville d’importance libérée par les Alliés en France (avant Caen, le 19 juillet).
Spontanées et informelles ou encore plus officielles, les différentes fêtes qui s’ensuivent dans la cité mêlent souvent les soldats américains et la population. Elles culminent le 4 juillet (jour de la fête nationale américaine) et, de manière encore plus marquée, le 14 juillet ; une célébration hautement symbolique, dont de nombreuses images rendent compte à l’instar de « Fête du 14-Juillet à Cherbourg » étudiée ici. Parfois largement diffusées et hautement signifiantes, de telles représentations ont un fort potentiel idéologique et, façonnant à leur manière les consciences et les représentations, jouent un rôle non négligeable dans la suite des événements.
Libérateurs et libérés
Pris le 14 juillet 1944 par un membre de l’armée américaine chargé du photoreportage, ce cliché montre des soldats américains et des civils mélangés, dansant lors du bal donné à l’occasion de la fête nationale française.
Placé en hauteur (premier ou deuxième étage d’un bâtiment donnant sur le lieu de la scène), le photographe capture une bonne partie de la scène. Sur l’une des places de la ville, peut-être la place de la mairie (au fond à gauche), s’est rassemblée une foule dense et nombreuse dans laquelle apparaissent une majorité de civils (hommes, femmes et enfants) et des militaires en uniforme de l’armée américaine (infanterie et marine). Saisissant, l’effet d’ensemble confond tous les individus dans une même masse compacte et continue qui semble même, telle une vague léchant la digue, remonter légèrement sur les murs qui délimitent la place à l’arrière-plan.
Deux espaces distincts et moins remplis se détachent alors assez nettement. Visible sur la droite de l’image, une estrade (presque vide à ce moment précis) a été dressée, sans doute pour les discours et interventions des officiels (politiques et militaires). Au premier plan au centre, sortant légèrement du cadre, les couples danseurs évoluent deux par deux, entourés par des spectateurs disposés en arc de cercle, et qui battent parfois des mains.
Fête nationale
Dans une ville à peine reconquise et encore marquée par le double traumatisme de la domination nazie et des combats récents, la scène que montre « Fête du 14-Juillet à Cherbourg » a une signification particulière.
Interdite en zone occupée (comme à Cherbourg) ou détournée en une journée de deuil à laquelle l’Église est associée en zone libre, la célébration du 14-Juillet renaît ici pour la première fois en France. À travers la fête nationale, c’est bien tout le pays qui est rendu à lui-même, à son histoire, à sa fierté et à son identité républicaines. Cherbourg apparaît alors symboliquement comme la métonymie d’une nation enfin libérée, comme l’emblème de toute une patrie qui retrouve la joie et la vie. L’image idéale de cette France à venir (le mouvement de la danse et celui de la foule évoquant métaphoriquement celui de la reconquête future) est ainsi renvoyée à tous les peuples qui, en Europe et notamment dans le pays, sont encore oppressés.
Mais cette photographie montre aussi, à dessein, l’attitude des soldats américains. Loin d’être de nouveaux occupants ou de se conduire en conquérants, ces derniers apparaissent ici comme les sauveurs, les amis qui permettent et encouragent cette célébration proprement nationale. À ce titre, la fusion physique et charnelle de la foule indistincte évoque une parfaite communion de corps et d’esprit entre les libérés et leurs libérateurs. Fondus dans la foule, les Alliés appartiennent aussi, un temps, à la communauté nationale enfin retrouvée et reconnaissante. « Fête du 14-Juillet à Cherbourg » délivre alors peut-être (et inconsciemment) un message politique : à l’image de cette union dans la liesse, évidente et naturelle, les rapports à venir entre Français et Américains devraient (idéalement) consister en une entente et en une unité totales.
· Farid ABDELOUAHAB, L’Année de la liberté : juin 1944 – juin 1945, Paris, Acropole, 2004.
· Jean-Pierre AZÉMA, Nouvelle histoire de la France contemporaine, tome XIV « De Munich à la Libération, 1938-1944 », Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 1979, nouv. éd. 2002.
· Georges BERNAGE, Première victoire américaine en Normandie : Cherbourg, Bayeux, Heimdal, 1990.
· John MAN, Atlas du débarquement et de la bataille de Normandie 6 juin – 24 août 1944, Paris, Autrement, coll. « Atlas Mémoires », 1994.
· Olivier WIEVIORKA, Histoire du débarquement de Normandie. Des origines à la libération de Paris (1941-1944), Paris, Le Seuil, coll. « Points Histoire », 2007.
Alexandre SUMPF, « Le bal de la liberté », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 15/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/bal-liberte
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