Cléo de Mérode.
Cléo de Mérode.
Cléo de Mérode.
Cléo de Mérode.
Auteur : OGERAU Charles
Lieu de conservation : musée d’Orsay (Paris)
site web
H. : 14,5 cm
L. : 10,5 cm
Épreuve sur papier albuminé contrecollée sur carton. Vers 1893.
Domaine : Photographies
© Photo RMN - Grand Palais - Droits réservés
88-002725 / Pho1988-28
Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Gabriella ASARO
Une icône de beauté angélique
À la Belle Époque, sous l’influence du décadentisme et du symbolisme, hédonisme et spiritualité se côtoient : littérature, spectacle vivant et arts figuratifs reprennent le thème romantique de la femme comme idole de beauté tantôt angélique, tantôt diabolique. Il confine alors à l’obsession, et les exemples de femmes fatales se multiplient : un des personnages favoris est celui de Salomé, à qui Oscar Wilde consacre le drame éponyme illustré par Aubrey Beardsley. À cette image sulfureuse correspondent « les trois Grâces de la Belle Époque », les artistes et demi-mondaines Liane de Pougy, Émilienne d’Alençon et la belle Otero, tandis que l’idéal angélique est incarné par Cléo de Mérode, icône d’une beauté sans fard ni ombres, qu’elle entretient et défend à tout prix.
Issue d’une branche autrichienne de la maison belge des Mérode, Cléopâtre Diane, dite Cléo, naît à Paris en 1875 de Vincentia de Mérode qui, séduite par un homme de la haute société viennoise, s’est exilée en France. Malgré son statut de fille mère, Vincentia réussit à entrer dans la bonne société parisienne, attendrie et charmée par la beauté virginale de sa fille. Bien plus qu’un moyen de revanche sociale, Cléo est la seule raison de vivre de sa mère ; âgée de sept ans, Cléo entre à l’école de danse de l’Opéra (voir De la classe à la scène, le ballet de l'Opéra de Paris vu par Edgar Degas), où son nom la distingue de la masse des petits rats et lui permet de danser dans les salons mondains ; pendant sa carrière à l’Opéra, elle se fait remarquer plutôt comme modèle des clichés réalisés en marge des représentations que comme interprète sur la scène.
Le développement de la technique photographique contribue à faire de Cléo de Mérode une célébrité internationale : son portrait est reproduit sous forme de cartes postales, tirées et diffusées à des milliers d’exemplaires. Les poses sont souvent inspirées des images pieuses, renforçant ainsi la réputation vertueuse de Cléo, dont la beauté et la fraîcheur évoquent une sorte d’Ève d’avant le péché originel. Naturellement belle et très photogénique, Cléo a des taches de rousseur qui sont systématiquement éliminées dans les clichés destinés à la reproduction, afin de garder une image la moins terrienne possible.
Élue, parmi 131 célébrités, reine de beauté sur photographies par les lecteurs de L’Illustration en 1896, Cléo de Mérode devient vite une icône des symbolistes, tout en gardant une aura romantique qui la rapproche de Maria Taglioni (voir Marie Taglioni et l'apogée du ballet romantique), surtout dès les années 1900, lorsque Cléo opte définitivement pour la coiffure à bandeaux. Comme pour la Taglioni, les hommages iconographiques se multiplient sous les formes les plus disparates. Cléo pose pour Degas (voir Degas et la célébration de la danse féminine à l'Opéra), mais elle n’est malheureusement reconnaissable dans aucune de ses œuvres ; en revanche, ceux que lui rendent les peintres Boldini et Toulouse-Lautrec, les sculpteurs Alexandre Falguière et Luis de Perinat, et les photographes Goplo, Paul Nadar, Léopold Reutlinger, Charles-Pierre Ogereau et Henri Manuel, célèbrent Cléo de Mérode en icône de chaste sensualité.
Tant de beauté et de pudeur, unies à son double statut d’aristocrate et d’artiste, attisent la curiosité et la médisance des contemporains, qui soupçonnent la danseuse d’hypocrisie et se font une joie de découvrir, au Salon des artistes français de 1896, une sculpture d’Alexandre Falguière la représentant nue. Cléo de Mérode accuse Falguière d’avoir fabriqué une œuvre à scandale en moulant le corps de la statue sur un autre modèle féminin, alors qu’elle n’aurait posé que pour la tête. La portée de l’affaire Falguière est comparable à celle du scandale qui a éclaté en 1893, à cause d’un effeuillage en musique improvisé lors du bal des Quat’z’Arts : dans les deux cas, la société de la Belle Époque se révèle dans toute son ambiguïté.
Plongée dans la vie mondaine, Cléo préserve néanmoins sa vie privée et ses amours, beaucoup moins nombreuses que celles que les rumeurs lui attribuent. Vestale de sa propre image, tout au long de sa vie Cléo de Mérode s’acharne à garder une perpétuelle jeunesse ; lorsqu’elle meurt, en 1966, à quatre-vingt-onze ans, elle est désormais l’icône d’une époque mythique.
Un modèle idéal pour photographes et sculpteurs
Dans le cliché d’Ogereau, Cléo de Mérode apparaît assise dans un imposant fauteuil dont sa main droite tient un accoudoir. Encadré par sa chevelure sagement coiffée en bandeaux, le visage de la jeune femme émerge d’un jabot de dentelle et d’une étole de plumes d’autruche. Vêtue d’une élégante robe dont les manches ne découvrent que ses mains, elle fixe l’objectif d’un regard doux mais sûr. La pose est nonchalante malgré le corset qui lui serre cruellement la taille.
Paul Nadar, fils et héritier du célèbre photographe, est très apprécié pour ses portraits. Cléo de Mérode apparaît ici en costume de scène, mais c’est sur son visage que ce cliché attire l’attention : sous le flot de la longue et abondante chevelure blonde, les traits sont réguliers, le regard aussi sage que rêveur. Le diadème confère une touche exotique mais sans érotisme.
Élevée par sa mère dans le culte de la personnalité autant que dans le respect des bonnes mœurs et de ses nobles origines, Cléo de Mérode n’a jamais consenti à se faire représenter nue : c’est donc pour elle le désarroi quand elle découvre la sculpture de Falguière. Grâce à la tridimensionnalité de l’œuvre, les formes opulentes et la pose langoureuse du modèle s’offrent sans pudeur au désir voyeuriste des admirateurs de la danseuse. Dans une lettre au Figaro, l’écrivain symboliste belge Georges Rodenbach reproche à Falguière d’avoir « dépoétisé » l’image de la danseuse en général et celle de Cléo en particulier, puisque, en la représentant nue, « il semble que nous la possédions tous ! ». Malgré ses bonnes intentions, la lettre de Rodenbach ne rend pas service à Cléo, suscitant au contraire les moqueries de la presse satirique.
L’art de devenir un chef-d'œuvre vivant
Cléo de Mérode ne marque pas l’histoire du ballet : danseuse décorative plutôt qu’interprète, elle n’est pas une artiste à proprement parler, mais, à l’image du dandy célébré par Oscar Wilde, elle réussit à devenir elle-même une œuvre d’art, charmant Marcel Proust et Reynaldo Hahn. « Préraphaélite » dans sa jeunesse, « classique » dans sa maturité, Cléo devient l’incarnation d’un idéal de beauté féminine intemporelle qui suscite un désir moins charnel qu’esthétique. Peter Altenberg, écrivain viennois décadent ami de Gustav Klimt, écrit : « Cléo de Mérode, tu es un paradigme de la force esthétique, qui prend une apparence individuelle afin de livrer au monde le genre exceptionnel de ton expression artistique. […] L’exposition publique d’une perfection particulière peut exceptionnellement contribuer à l’évolution du genre humain ! […] C’est comme si tu conduisais les femmes modernes vers l’image idéale de leurs désirs, et dans ce sens tu es une grande artiste ! »
Pour en savoir plus sur le studio Reutlinger, allez sur le site Arago, le portail de la photographie
• Christian CORVISIER, Cléo de Mérode et la photographie.La première icône moderne, Paris, Éditions du patrimoine-Centre des monuments nationaux, 2007.• Cléo de MÉRODE, Le Ballet de ma vie, préface de Françoise Ducout, Paris, Pierre Horay Éditeur, 1985.
Gabriella ASARO, « Cléo de Mérode, une icône entre Romantisme et Symbolisme », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/cleo-merode-icone-entre-romantisme-symbolisme
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CHRIS
La photo de Cléo est de Paul NADAR, fils de Gaspard-Félix TOURNACHON dit NADAR
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