Aller au contenu principal
Paysage avec une rivière au loin et baie.

Paysage avec une rivière au loin et baie.

La Vague.

La Vague.

Jeunes filles au bord de la mer.

Jeunes filles au bord de la mer.

Paysage avec une rivière au loin et baie.

Paysage avec une rivière au loin et baie.

Auteur : TURNER Joseph

Lieu de conservation : musée du Louvre (Paris)
site web

Date de création : 1835

Date représentée :

H. : 93,5 cm

L. : 123,5 cm

peinture à l'huile sur toile

Domaine : Peintures

© RMN - Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau

Lien vers l'image

RF 1967-2 - 14-528829

La vision de la mer au XIXe siècle

Date de publication : Novembre 2007

Auteur : Ivan JABLONKA

Avant 1750, les espaces océaniques n’attirent guère que les marins. Au XVIIe siècle, Claude Gellée, dit Le Lorrain, est l’un des rares peintres à en donner dans ses Vues de port par exemple, une image sereine. Les mots de la mythologie classique et de la Bible peuplent les mers de dangers multiples, auxquels la persistance des actes de piraterie donne un caractère bien réel.

Cette image s’estompe peu à peu dans les consciences occidentales, à la faveur d’un processus de familiarisation auquel contribuent le succès des grands voyages circumterrestres et le développement des marines marchandes ouest-européennes, mais aussi la diffusion au début du XVIIIe de la théologie naturelle, qui fait valoir que les océans et les littoraux ont été voulus par Dieu, la popularisation des écrits de Bernardin de Saint-Pierre, chantre des rivages lointains et l’essor de la sensibilité romantique qui puise une part de son imagination dans la contemplation de la nature. De 1750 à 1840 se produit ce que l’historien Alain Corbin appelle l’ « irrésistible éveil du désir collectif des rivages ». Un nombre croissant de médecins prescrivent le séjour à la mer pour son air salé et ses bains froids ; les mers attirent les romantiques, les mélancoliques et tous « ceux qui, par crainte du miasme, s’en viennent côtoyer l’écume ».

Cet attrait nouveau se reflète dans la peinture du XIXe siècle. Certes, au XVIIe siècle et au XVIIIe, les tempêtes des maîtres hollandais, les mouillages mythiques du Lorrain, les ports florissants de Vernet, les rêveries silencieuses de Friedrich témoignaient déjà d’une fascination pour les espaces maritimes, mais le XIXe siècle approfondit et diversifie son « désir du rivage ». De quelle manière ?

Au début du siècle, l’observateur aime laisser son œil errer, se perdre dans ces étendues infinies qu’aucune limite visuelle ne vient borner. Le panorama de l’Anglais Turner évoque un désir d’évasion. Sa palette simple, dont les bruns, les beiges clairs, les gris adoucis et le blanc lumineux éblouissent, anime de miroitements et de vibrations un paysage amphibie où la terre, la mer et le ciel, surfaces indistinctes, s’interpénètrent au sein d’une composition volontairement peu structurée. Méandres, sable mouillé, embruns, brouillards et vapeurs effacent les limites entre les trois éléments. Ce rivage romantique invite à la rêverie, voire à la mélancolie, mais, mêlant « les sédiments millénaires et les dépôts éphémères », il provoque aussi un sentiment du temps vertigineux.

La Vague de Courbet n’a pas la légèreté des paysages de Turner. Au cours de son séjour à Étretat, à l’été 1869, le peintre a pu observer par la fenêtre de sa maison plusieurs tempêtes. La Vague, réalisée en même temps que La Falaise d’Étretat après l’orage et présentée, avec son pendant, au Salon de 1870, représente une déferlante frangée d’écume qui va s’abattre sur la plage. Les lourds nuages gris noir roulent de manière menaçante ; la Manche, d’un vert profond, est démontée ; la richesse de la matière étalée au couteau, accuse la massivité des nuages et de la vague, et rend particulièrement tangible la force des éléments. L’énergie et la sauvagerie qui se dégagent de cette toile peinte comme un drame justifient les propos de Cézanne, pour lequel la marée de Courbet vient « du fond des âges ».

C’est au contraire une image de sérénité qu’offre la toile du symboliste Puvis de Chavanne. Deux femmes allongées rêvent sur le rivage, tandis qu’une seule contemple la mer en coiffant ses magnifiques cheveux ; leur corps sculptural est pudiquement couvert d’un drapé à l’antique. Le mystère de cette scène intemporelle, l’attitude de la femme qui nous fait face, le dégradé de l’ocre blond au rose pâle, l’orangé du crépuscule créent une atmosphère intemporelle qui évoque l’Arcadie des auteurs classiques.

Ces trois toiles, dans leurs différences et leur proximité, apportent des éclairages sur la complexité du « désir du rivage » au XIXe siècle. Le rêve de Puvis et, dans une certaine mesure, le paysage de Turner, mettent en scène une mer sereine qui invite à une méditation teintée de mélancolie. À l’opposé, La Vague de Courbet ressortit au monde d’horreur et d’épouvante qui est déjà celui des Brisants à la pointe de Granville d’Huet et celui du Radeau de la Méduse de Géricault, c’est-à-dire de la génération romantique. On y tremble d’un « effroi provoqué par la mer en fureur, l’agitation broyeuse des vagues, la morsure des récifs acérés » (A. CORBIN, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage (1750-1840), Aubier, 1988, p. 71).

Dans tous les cas, l’attirance pour l’océan est à mettre en relation avec les peurs et les répugnances des classes dominantes au XIXe siècle. Nostalgie des espaces non souillés, besoin de se ressourcer et de se purifier, recherche de l’authenticité d’une nature encore sauvage : de même que le désir du rivage s’alimente au dégoût pour la ville, de même la mer permet de calmer les anxiétés d’une bourgeoisie urbaine qui se sent menacée par la saleté, l’épuisement et la dégénérescence. Selon l’opinion des médecins de l’époque, la mer permet même de lutter « contre la mélancolie et le spleen ».

« Territoires du vide » jusque dans les années 1840, havres de pureté ou pôles de violence chéris pour les émotions qu’ils suscitent, les rivages se remplissent au cours du siècle de curistes et de baigneurs fortunés, avant de devenir à partir des années 1950-1960 le lieu privilégié des vacances estivales pour toutes les couches de la société.

Alain CORBIN, Le Territoire du vide. L’Occident et le désir du rivage (1750-1840), Paris, Aubier, 1988.

Alain TAPIE (dir.), Désir de rivage ; de Granville à Dieppe, le littoral normand vu par les peintres entre 1820 et 1945, catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Caen (1er juin – 31 août 1994), Caen, musée des Beaux-Arts, Paris, RMN, 1994.

Ivan JABLONKA, « La vision de la mer au XIXe siècle », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/vision-mer-xixe-siecle

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier

Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier

L’oligarchie de Juillet

Fragmentés en groupes concurrents, les parlementaires n’en constituaient pas moins une entité d’une exceptionnelle…

Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier
Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier
Bustes-charges de banquiers par Honoré Daumier
Un hôtel de luxe à la fin du Second Empire

Un hôtel de luxe à la fin du Second Empire

La clientèle richissime qui, sous le Second Empire, fréquente les stations balnéaires de la côte normande recherche le séjour à la mer pour ses…

Vue d'une partie du port et des quais de Bordeaux : dit Les Chartrons et Bacalan

Vue d'une partie du port et des quais de Bordeaux : dit Les Chartrons et Bacalan

Entre 1804 et 1807, le port de Bordeaux connaît une période relativement faste en comparaison des années sombres de la Révolution. Sous la…

<i>L’Enseigne</i>, dit <i>L’Enseigne de Gersaint</i>

L’Enseigne, dit L’Enseigne de Gersaint

Réalisé le temps de huit matins, entre le 15 septembre et la fin de l’année 1720, L’Enseigne de Gersaint est l’un des derniers tableaux de Jean-…

Grandjouan, militant radical

Grandjouan, militant radical

Du militantisme radical au communisme

La IIIe République ancre les pratiques démocratiques en France mais est loin de satisfaire les…

Grandjouan, militant radical
Grandjouan, militant radical
Grandjouan, militant radical
Madame Récamier

Madame Récamier

Fille d’un notaire promu conseiller de Louis XVI, Jeanne Bernard (qui se fait appeler Juliette) épouse en 1793, à quinze ans, le banquier Jacques-…

L’Argent de Zola

L’Argent de Zola

La finance a pignon sur rue

Le XIXe siècle est pour la France celui de la révolution industrielle, dont une des composantes est le…

Le comte Robert de Montesquiou

Le comte Robert de Montesquiou

A la fin du XIXe siècle, le portrait mondain, qu’il soit peint ou sculpté, suscite un engouement considérable. Reflet de la situation sociale de…

Vision de la servitude paysanne

Vision de la servitude paysanne

A la fin du XIXe siècle, la France demeure un pays largement rural. Les crises successives de l’agriculture ont certes contribué à dépeupler les…

Le mariage bourgeois au XIX<sup>e</sup> siècle

Le mariage bourgeois au XIXe siècle

La sécularisation du mariage

Les mariages conclus dans la haute bourgeoisie au XIXe siècle permettent de se rendre compte de l’…

Le mariage bourgeois au XIX<sup>e</sup> siècle
Le mariage bourgeois au XIX<sup>e</sup> siècle