Portrait de Charles de Gaulle à Londres
De Gaulle en 1940
Date de publication : Juin 2018
Auteur : Alexandre SUMPF
Incarner la France libre
Le 18 et le 22 juin 1940, de Gaulle lance un appel sur les ondes de la BBC. Depuis Londres, il exhorte ses compatriotes à résister à l’Allemagne et les invite à le rejoindre dans sa lutte.
Exécuté dans les jours qui ont suivi ces deux messages radiodiffusés, Portrait de Charles de Gaulle à Londres vise donc d’abord à mettre un visage sur cette nouvelle voix. Il s’agit en effet d’incarner la France libre, que le général entend organiser, représenter et diriger depuis l’étranger.
Si ces deux appels restent relativement confidentiels au moment où ils sont prononcés, ils sont relayés par une partie de la presse française avant d’être repris par les médias internationaux, acquérant progressivement un grand écho auprès des populations.
Alors que de Gaulle gagne en notoriété au cours de l’année 1940, ce portrait suit la même trajectoire, jusqu’à devenir l’une des images les plus célèbres et les plus « officielles » du général.
Il convient bien entendu de distinguer la portée immédiatement contemporaine d’une telle image et sa postérité plus tardive, liée à l’utilisation qui en est faite a posteriori dans le récit quasi légendaire de ce moment fondateur. Il reste néanmoins que ce portrait est l’une des premières représentations largement diffusée de ce dernier, l’une de celles par lesquelles les Français le découvrent avant de l’identifier. Elle joue donc un rôle certain dans l’émergence puis la reconnaissance politique, diplomatique et « médiatique » de cette nouvelle figure.
De la photographie au portrait
On ne connaît pas l’auteur de Portrait de Charles de Gaulle à Londres, mais il semble que ce dernier ait été peint à partir d’une photographie – elle aussi anonyme – prise en juin 1940 à Londres. S’il est possible que le général ait posé pour le peintre et qu’à cette occasion, des clichés aient été réalisés, il semble plus vraisemblable que ladite photographie, où on le voit assis sur son bureau, soit en fait l’image « originale » dont ce tableau s’inspire très nettement (en la coupant au niveau de la jambe). Il existe d’ailleurs d’autres « variations » picturales de ce portrait, avec des couleurs différentes.
Malgré la position assez inhabituelle du modèle (ni parfaitement assis, ni parfaitement debout), la pose conserve une facture classique, impression renforcée par l’usage de la peinture à l’huile et ses couleurs assez denses.
De Gaulle apparaît dans son uniforme de général de brigade de cavalerie (4e division cuirassée), dont on reconnaît la couleur (avec cravate noire et chemise kaki), les deux étoiles distinctives de son grade sur la manche gauche, les fourreaux d’épaule, les insignes en ruban au-dessus de la poche de poitrine gauche, et le képi brodé (une visière arrondie en cuir verni noir, avec deux rangées de branches à feuilles et glands de chêne ; un sommet couleur garance, avec un nœud hongrois de quatre brins cousu en or au milieu).
Le général se tient droit, les bras croisés, et fixe le spectateur (l’objectif) assez intensément du haut de sa silhouette élancée. Son air est solennel, grave et résolu, un brin compassé, mais un certain éclat du regard – mis en évidence par le travail de la lumière sur un fond uniformément noir – et un très léger sourire (certes crispé) donnent également une certaine animation à ce portrait assez statique.
De Gaulle en 1940, un illustre inconnu
Malgré une brillante carrière militaire et une très courte expérience ministérielle, le général que l’on découvre sur ce portrait, âgé de 50 ans en juin 1940, est alors un illustre inconnu pour la plupart des Français.
Né en novembre 1890, Charles de Gaulle intègre l’école militaire de Saint-Cyr en 1908. Il est mobilisé comme officier (lieutenant, puis capitaine en 1915) dans l’infanterie lors du premier conflit mondial ; il est plusieurs fois blessé, avant d’être fait prisonnier.
Protégé par le maréchal Pétain, sous les ordres duquel il a servi, il rejoint le secrétariat général de la Défense nationale en 1931. Il développe dans le même temps ses propres théories militaires, notamment dans son ouvrage Vers l’armée de métier, où il promeut l’idée d’une armée professionnelle et modernisée qui développerait significativement le nombre de ses unités blindées.
Le 11 mai 1940, le colonel de Gaulle prend la tête de la 4e division cuirassée (DCR). Nommé général de brigade à titre temporaire le 25 mai, il occupe ensuite le poste éphémère de sous-secrétaire d’État à la Guerre et à la Défense nationale (10-16 juin 1940) dans le gouvernement Reynaud. Après la démission de ce dernier, le 17 juin, il quitte la France pour Londres, d’où il lance son appel le 18.
Portrait de Charles de Gaulle à Londres entend d’abord asseoir la légitimité de son modèle. Ainsi, de Gaulle pose en uniforme, et aucun des attributs propres à sa position dans la hiérarchie militaire n’est omis : il s’agit bien d’un général, d’un chef de guerre qui sait de quoi il parle quand il appelle au combat pour la France et prétend incarner un nouveau leadership. De même, l’aspect assez classique du portrait confèrerait une certaine stature au personnage et élèverait sa démarche au rang de moment historique.
Le regard profond, qui mêle la conviction, une hauteur un peu maladroite et la flamme discrète d’une austère passion, est ici plus surprenant et original, assez moderne même. Fixant chaque spectateur potentiel, il semble le sonder et – dans une sorte de version iconique de son appel par les mots – chercher à l’entraîner derrière lui en éveillant un ressort patriotique intime.
AGULHON Maurice, De Gaulle : histoire, symbole, mythe, Paris, Plon, 2000.
BROCHE François, CAÏTUCOLI Georges, MURACCIOLE Jean-François (dir.), Dictionnaire de la France libre, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2010.
CRÉMIEUX-BRILHAC Jean-Louis, L’appel du 18 Juin, Paris, Armand Colin, 2010.
DE GAULLE Charles, Mémoires de guerre. I : L’appel (1940-1942), Paris, Plon, 1954.
MURACCIOLE Jean-François, Histoire de la France libre, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? » (no 1 078), 1996.
Alexandre SUMPF, « De Gaulle en 1940 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/gaulle-1940
Voir également notre étude « À tous les Français » : l’affiche de Londres.
Lien à été copié
Découvrez nos études
Madame Manet au piano
Ce tableau illustre un thème alors souvent traité par les peintres. De Fantin-Latour à Vallotton en…
Colbert
Reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1663, le peintre bellifontain…
Louis XVII au Temple, réalité et légende
Le second fils de Louis XVI et Marie-Antoinette, Louis-Charles de France, duc de…
Regard sur la folie
Ces deux toiles appartiennent à un ensemble de dix portraits d’aliénés (dont cinq actuellement perdus ou détruits) peints par Géricault vers 1820…
Les Demoiselles Harvey
En 1804, alors que Napoléon Bonaparte devient empereur, Jean Auguste Dominique Ingres s’entoure d’un cercle amical hétérogène, composé de peintres…
Chateaubriand
En avril 1800, François-René, vicomte de Chateaubriand (1768-1848), émigré en 1792, quitte l’Angleterre et rentre en France après avoir publié l’…
Tocqueville, historien et visionnaire
Magistrat sous la Restauration, Alexis de Tocqueville (Paris, 1805-Cannes, 1859) fut chargé d’une mission d’information aux Etats-Unis et publia à…
Marie Taglioni et l'apogée du ballet romantique
Marie Taglioni est l’une des personnalités les plus marquantes de l’histoire de la danse et le symbole par excellence du ballet romantique ; son…
Un Goncourt en cache un autre
Les frères Jules (1830-1870) et Edmond (1822-1896) de Goncourt, fameuses figures du milieu…
Ajouter un commentaire
Mentions d’information prioritaires RGPD
Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel