Apothéose de la canaille.
Le gamin de Paris aux Tuileries.
Louis XIV reçoit à Versailles les Ambassadeurs du Roi de Siam.
Apothéose de la canaille.
Auteur : BOUTET-DE-MONVEL Maurice
Lieu de conservation : musée des Beaux-Arts (Orléans)
site web
H. : 430 cm
L. : 332 cm
huile sur toile. Autre titre : Le Triomphe de Robert Macaire
Domaine : Peintures
© Musée des Beaux Arts d'Orléans
D.80.1.1
Charge anti-républicaine
Date de publication : Mars 2016
Auteur : Myriam TSIKOUNAS
Le 22 avril 1885, Le Figaro titre « Nouvel incident au Salon » : le tableau de Maurice Boutet de Monvel est définitivement refusé à l’exposition sous le motif que la vision de la Commune délivrée est susceptible de « provoquer, en plein salon, des altercations dangereuses ou désagréables[1] ». Deux semaines plus tard, le quotidien annonce qu’Apothéose sera exposé dans ses locaux[2] et invite ses abonnés à venir le voir.
Pourquoi cette toile, signée d’un artiste méconnu, principalement illustrateur et dessinateur, suscite-t-elle tant de passions ? Vraisemblablement parce qu’elle s’apparente à une charge non seulement anticommunarde mais antirépublicaine.
Le tableau, qui montre une barricade de la « Semaine sanglante » (21-28 mai 1871), est réalisé plus de treize ans après le drame car, de décembre 1871 à l’amnistie de 1880, la Commune de Paris, violemment réprimée, fait l’objet d’un arsenal juridique qui censure toute manifestation du souvenir.
Apothéose est l’œuvre d’un aristocrate qui, comme la plupart des membres de l’intelligentsia française, avait quitté la capitale durant la guerre civile. Peint après coup, par un artiste qui ne fut pas témoin de la tragédie, le tableau n’a donc rien de réaliste. Il vise essentiellement, via l’allégorie et la caricature, à mettre en image les écrits réactionnaires publiés au lendemain de la Commune.
Boutet de Monvel parodie des gravures et des toiles célèbres. Son tableau monumental, en forme de pyramide humaine centrée, s’inspire ouvertement de la peinture d’histoire exposée dans la galerie des Batailles de Versailles. Mais ici, au faîte de la composition, le spectateur ne découvre pas de héros. La pointe du triangle est occupée par le sinistre Robert Macaire, qui symbolise, durant toute la seconde moitié du XIXe siècle, l’homme d’affaires sans scrupule. Ce dernier, métamorphosé en somnambule, bénit de ses mains tendues une sorte de roi des gueux, enfoncé dans son siège (comme Le Gamin de Paris aux Tuileries d’Honoré Daumier).
Apothéose s’inspire aussi des almanachs présentant, dans des dessins allégoriques, les hauts faits de Louis XIV, spécialement de l’audience donnée par le roi à l’ambassade siamoise. Mais ici, tout est dérisoire. Le trône est remplacé par un fauteuil surmonté d’une minuscule couronne. Le monarque n’est pas paré d’un manteau fleurdelysé mais d’un drapeau rouge ; ses jambes ne sont pas gainées de soie mais recouvertes d’un pantalon mité dont la couleur brune se confond avec celle du mur contre lequel il est adossé. Dans ses mains, point d’épée de justice et de sceptre mais une bouteille de vin et un vilain couteau. Le souverain n’est pas assis majestueusement mais affalé, la couronne de travers. Il ne terrasse pas la Fronde mais foule de son pied nu et sale une femme qui incarne la France. Au-dessus de sa tête n’apparaît pas une Victoire ailée mais la mainmise d’un financier marron.
Par-delà le rire, ce retournement carnavalesque autorise une dénonciation radicale de l’événement, en le dénaturant. Dans les faits, les barricades, tenues par des hommes mais aussi des femmes et des enfants, ont permis de résister quelques jours à l’offensive des soldats versaillais. Sur la toile, la barricade, composée de pavés, ne défend rien : elle est érigée contre le mur d’une sorte de prison, avec sa curieuse fenêtre murée, à barreaux. L’ennemi est absent et la foule n’a pour armes qu’une pique et deux gourdins. Le seul figurant coiffé d’une casquette et vêtu d’un bourgeron est placé en amorce, de dos.
Les rares visages individualisés ne sont pas ceux de travailleurs mais de vieillards chenus en redingotes déchirées, sorte de bohème mal famée. L’image n’est quasiment peuplée que d’hommes. On devine à peine les cheveux d’une femme, au bas du cadre. Exception faite d’un bébé, l’unique enfant mis en scène est borgne, le faciès déformé par une bouche hurlante. Au bas de la barricade, une foule qui s’apparente à la cour des Miracles acclame son nouveau maître, mains crasseuses levées, chapeaux élimés et cannes rudimentaires lancés. Il ne s’agit plus d’une révolution mais d’une restauration.
Boutet de Monvel tend d’ailleurs à faire de ces étranges communards les fossoyeurs de la République puisque le vêtement de la « France » et les deux draps entre lesquels elle gît dessinent le drapeau tricolore. Ce retour au passé est encore accentué par la présence de deux héros de L’Auberge des Adrets : Bertrand, qui frappe la grosse caisse, et Macaire, que le teint blafard, la redingote et le haut de forme noir, le foulard rouge, transforment en revenant de la monarchie de Juillet qui le vit apparaître sur les planches, popularisé par Frédéric Lemaître et Daumier.
Ce tableau outrancier nous renseigne moins sur la nature de la Commune que sur l’état d’esprit des élites qui se sont cru menacées par des barbares et se vengent de la peur qu’elles ont éprouvée. Il trahit les changement intervenus d’une révolution à l’autre.
Les artistes, pour la plupart aux côtés des ouvriers en février 1848, s’en sont éloignés dès les journées insurrectionnelles de juin au long desquelles la fermeture des Ateliers nationaux a précipité dans les rues des milliers d’indigents. Cette expérience leur a laissé une vision décevante du peuple[3], dorénavant assimilé à la populace, les voyous ivrognes portant sur leur corps les sigmates de la dégénérescence.
Mais Apothéose, même si sa charge anticommunarde plaisait à la majorité, n’avait pourtant pas sa place au Salon de 1885. L’année même où débute une instabilité ministérielle (chute du ministère Ferry) et une critique de la République sans précédent, montrer une Restauration, fût-elle parodique, n’était pas de mise.
Alfred DARCEL, « Les musées, les arts et les artistes pendant la Commune », Gazette des Beaux-Arts, vol. 5, 1872, p. 41-65 (1re partie), p. 140-150 (2e partie), p. 210-229 (3e partie), p. 398-418 (4e partie) et p. 479-490 (fin).
Prosper O. LISSAGARAY, Histoire de la Commune de 1871, Paris, 1876 (rééd. Maspero, 1976).
Jacques ROUGERIE, Paris libre 1871, Paris, Seuil, coll. « Points », 1981.
Bertrand TILLIER, « La Commune de Paris : une révolution sans peinture ? », La Revue du musée d’Orsay, no 10, printemps 2000, p. 70-83.
1. « Nouvel incident au Salon », Le Figaro, mercredi 22 avril 1885, signé J. V. Un second tableau est refusé, celui de Jules Garnier, En flagrant délit, parce que la scène d’adultère représentée « risque d’offenser les familles ».
2. « Exposition du tableau de M. Boutet de Monvel au Figaro », Le Figaro, vendredi 8 mai 1885, non signé. Le journal explique que le tableau sera exposé au rez-de-chaussée de l’hôtel du Figaro, au fond du grand hall des abonnements.
3. À l’exception, bien sûr, des peintres qui, sous la Commune, feront partie de la Fédération des artistes de Paris, présidée par Gustave Courbet.
Myriam TSIKOUNAS, « Charge anti-républicaine », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/charge-anti-republicaine
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