Aller au contenu principal
 Le Massacre de la rue Transnonain

Le Massacre de la rue Transnonain

État nominatif des douze personnes décédées [...] des événements d'avril 1834, rue Transnonain.

État nominatif des douze personnes décédées [...] des événements d'avril 1834, rue Transnonain.

<i>Mémoire sur les événements de la rue Transnonain</i> par Ledru-Rollin

Mémoire sur les événements de la rue Transnonain par Ledru-Rollin

 Le Massacre de la rue Transnonain

Le Massacre de la rue Transnonain

Auteur : DAUMIER Honoré

Lieu de conservation : The British museum
site web

Date de création : 1834

Date représentée : 15 avril 1834

H. : 285 cm

L. : 440

Lithographie

Domaine : Estampes-Gravures

Domaine Public © CC0 British Museum

Lien vers l'image

1862,1011.676

Rue transnonain, le 15 avril 1834

Date de publication : Mars 2016

Auteur : Robert FOHR

Les premières années du règne de Louis-Philippe sont marquées par divers mouvements populaires dont la répression fait rapidement retourner à l’opposition les républicains d’abord favorables au régime. Le malaise économique favorise l’agitation, entretenue par les sociétés secrètes, telle la Société des Droits de l’homme, qui voient dans la République le seul régime capable de fonder une vraie justice sociale. Pour juguler la propagande républicaine, le gouvernement fait alors voter une série de lois qui soumettent la profession des crieurs publics et marchands de journaux ambulants à une autorisation toujours révocable, interdisent les associations politiques et défèrent devant la chambre de Paris les complots contre l’État.

Le journaliste Armand Carrel invite alors ses lecteurs du National à « répondre à la suspension de la légalité par la suspension de l’ordre public ». Le 9 avril 1834, une manifestation est organisée à Lyon par la Société des Droits de l’homme et le Conseil exécutif des sociétés ouvrières de secours mutuel. L’émeute des ouvriers soyeux qui s’ensuit (9-12 avril) s’étend dès le 13 avril à la capitale, où Thiers la laisse se développer pour mieux l’écraser.

Elle s’achève à Paris, le 14 avril, par le massacre des habitants d’une maison de la rue Transnonain (actuelle rue Beaubourg). Bien que la relation de l’événement varie selon les sources, il semble que, le 14 avril, un capitaine d’infanterie ait été blessé sur une barricade de la rue Transnonain d’un coup de feu tiré d’une maison voisine et que son détachement ait alors reçu l’ordre de massacrer tous les hommes parmi les occupants de l’immeuble.

Pour retracer ce fait divers, Daumier se référa selon toute vraisemblance à une description fournie par l’un des témoins du drame et rapportée dans le pamphlet que le leader radical Ledru-Rollin rédigea à cette occasion : « Dans une seule maison de la rue Transnonain, douze cadavres furent affreusement mutilés ; quatre personnes ont été dangereusement blessées : femmes, enfants, vieillards, n’ont pas trouvé grâce. »

Baudelaire, qui tenait la lithographie de Daumier pour l’un des sommets de son œuvre, en donne en 1857, dans Quelques caricaturistes français, cette description terrible : « Dans une chambre pauvre et triste, la chambre traditionnelle du prolétaire, aux meubles banals et indispensables, le corps d’un ouvrier nu, en chemise et bonnet de coton, gît sur le dos, tout de son long, les jambes et les bras écartés. Il y a eu sans doute dans la chambre une grande lutte et un grand tapage, car les chaises sont renversées, ainsi que la table de nuit et le pot de chambre. Sous le poids de son cadavre, le père écrase entre son dos et le carreau le cadavre de son petit enfant. Dans cette mansarde froide il n’y a que silence et mort. »

La composition de Daumier montre, dans une chambre semblable à l’une des trois pièces où les habitants de la maison se regroupèrent, quatre personnages représentatifs des types de victimes du massacre : l’homme dans la force de l’âge, principale cible, mais aussi l’enfant, la femme et le vieillard. Les deux derniers pourraient même évoquer des victimes réelles : Annette Besson, 49 ans, et Jean-François Breffort, 58 ans, fabricants de papier peint, ont succombé à la tuerie comme d’ailleurs leur fils de 22 ans, Louis Breffort.

En juillet 1834 paraissent simultanément le manifeste de Ledru-Rollin (23 juillet 1834) et la lithographie de Daumier, publiée dans L’Association mensuelle. Le texte et l’image s’élèvent contre le silence du pouvoir, au lendemain du massacre, dont témoigne l’adresse de Charles Breffort, proche parent de victimes, en tête du manifeste. Les deux publications, probablement concertées, semblent avoir été les véritables déclencheurs de l’enquête de la Cour des pairs : un mois plus tard commencera l’enregistrement des dépositions des témoins et le recueil de pièces, comme l’état nominatif des douze personnes décédées. L’énorme procès des événements d’avril 1834 se tient en 1835 et donne lieu à une publication officielle de la Cour des pairs, d’ampleur exceptionnelle (11 tomes).

Célèbre entre toutes, cette lithographie de Daumier paraît accompagnée d’un commentaire explicatif du directeur de la publication, Charles Philipon, qui établit à tout jamais la réputation de l’artiste comme dessinateur politique. Sa portée, tant artistique qu’historique, excède de très loin le cadre strict du reportage sur un fait divers.

L’implacable réalisme de la scène, qui tient du procès-verbal d’enquête policière ou du constat de médecin légiste, est accusé par la crudité de la lumière et par la puissance de la composition. Cette image de la répression aveugle exercée contre de probables innocents surpris dans leur sommeil (Daumier met intentionnellement en évidence le costume de nuit de ses personnages) vise d’abord à provoquer la stupeur et l’indignation, et c’est a contrario qu’elle s’impose comme un manifeste pour les idées républicaines de justice et de liberté.

En concluant sa description par ces mots laconiques : « Dans cette mansarde froide il n’y a que silence et mort », Baudelaire a implicitement souligné tout ce par quoi l’évocation triviale et terrifiante née sous le crayon de Daumier se rapproche et se distingue de la représentation héroïsée que David donna de l’assassinat du républicain Marat, à propos de laquelle il avait écrit dix ans plus tôt : « Il y a dans cette œuvre quelque chose de tendre et de poignant à la fois ; dans l’air froid de cette chambre, sur ces murs froids, autour de cette froide et funèbre baignoire, une âme voltige. » (« Le musée classique du bazar Bonne-Nouvelle » in Curiosités esthétiques, 1846)

Daumier 1808-1879 catalogue de l’exposition au Grand Palais, 1999-2000.

Robert FOHR, « Rue transnonain, le 15 avril 1834 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/rue-transnonain-15-avril-1834

À lire sur le site de la BNF Gallica : Ledru-Rollin, Mémoire sur les événements de la rue Transnonain, dans les journées des 13 et 14 avril 1834

Le procès des émeutes de 1834, sur le site web du Sénat

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

L'Entente cordiale

L'Entente cordiale

Sous les règnes de Louis-Philippe et de la reine Victoria, les relations entre la France et l’Angleterre s’améliorèrent. Cette première « Entente…

Allégorie de la création du musée historique de Versailles

Allégorie de la création du musée historique de Versailles

Le château de Versailles est resté sans véritable emploi durant la Révolution et l’Empire. On y avait installé un « musée spécial de l’Ecole…

L’expédition au Mexique en 1838

L’expédition au Mexique en 1838

La souveraineté du Mexique en question

Le Mexique des années 1830 peine à trouver une stabilité politique et doit faire face à des difficultés…

Le Retour des cendres de Napoléon

Le Retour des cendres de Napoléon

Le rapatriement du corps de Napoléon en France était discuté depuis le début de la monarchie de Juillet. Les bonapartistes s’employaient à…

Le Retour des cendres de Napoléon
Le Retour des cendres de Napoléon
Le Retour des cendres de Napoléon
<em>La Liberté guidant le peuple</em> d’Eugène Delacroix

La Liberté guidant le peuple d’Eugène Delacroix

Charles X et son impopulaire ministre, le prince de Polignac, remettent en cause les acquis de la Révolution. L’opposition libérale, par le biais…

La Bataille d'Iéna

La Bataille d'Iéna

Dès son accession au trône, conseillé par l’historien-ministre François Guizot (1787-1874), Louis-Philippe décide de transformer le château de…

Portraits officiels : Louis-Philippe et Napoléon III

Portraits officiels : Louis-Philippe et Napoléon III

Une ère nouvelle

Les Trois Glorieuses obligent Charles X à fuir Paris. Conscient de son impopularité, le souverain déchu espère voir son petit-…

Portraits officiels : Louis-Philippe et Napoléon III
Portraits officiels : Louis-Philippe et Napoléon III
La Monarchie de Juillet et la Belgique

La Monarchie de Juillet et la Belgique

À côté de ses grands voisins, la France et la Grande-Bretagne, la Belgique est un État bien jeune : à peine cent quatre-vingts ans d’existence !…

La Monarchie de Juillet et la Belgique
La Monarchie de Juillet et la Belgique
La Monarchie de Juillet et la Belgique
L'Armée française au cœur de la conquête de l'Algérie

L'Armée française au cœur de la conquête de l'Algérie

La conquête de l’Algérie.

La conquête de l’Algérie débute en juin 1830 : les troupes françaises, dirigées par le comte de Bourmont, débarquent à…

Attaque de l'Hôtel de Ville de Paris, le 28 juillet 1830

Attaque de l'Hôtel de Ville de Paris, le 28 juillet 1830

L’Attaque de l’Hôtel de Ville de Paris, comme toutes les toiles commandées à l’aube de la monarchie de Juillet, est une œuvre de propagande. Pour…