Louis XV visite le tsar Pierre le Grand
Auteur : HERSENT Louise
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date de création : 1838-1840
Date représentée : 10 mai 1717
H. : 76,5 cm
L. : 88,7 cm
Huile sur toile.
Domaine : Peintures
© Château de Versailles, dist. RMN - Grand Palais / Christophe Fouin
MV 174 - 17-515327
Louis XV enfant visite le tsar Pierre Ier à l’hôtel de Lesdiguières
Date de publication : Octobre 2020
Auteur : Stéphane BLOND
Le grand tour d’un tsar
Plus d’un siècle après la visite du tsar Pierre le Grand, l’artiste Louise Hersent focalise son œuvre sur une anecdote rapportée dans les mémoires du duc de Saint-Simon : « On fut étonné de voir le tsar prendre le roi sous les deux bras, le hausser à son niveau, l’embrasser ainsi en l’air, et le roi à son âge, et qui n’y pouvait pas être préparé, n’en avoir aucune frayeur. »
Ce tableau est commandé en 1838 par Louis-Philippe dans le cadre de l’aménagement des Galeries historiques de Versailles. Le roi choisit Louise Hersent, une artiste réputée de l’école néoclassique de peinture d’histoire. La toile est achevée le 13 octobre 1840 pour la somme de 3 000 francs. Deux ans plus tard, elle rejoint le palais de Versailles qu’elle ne quittera pas.
Né en 1672, Pierre Romanov devient le tsar Pierre Ier à l’âge de 10 ans. Après la cuisante défaite des campagnes d’Azov (1695 et 1696), il cherche à nouer des alliances contre les Ottomans. En 1697-1698, il effectue une « Grande Ambassade » en Autriche, en Prusse, en Hollande et en Angleterre. Les États rechignent à l’aider et en 1705, Louis XIV refuse d’accueillir l’ambassadeur de Russie pour ne pas bousculer les alliances traditionnelles de la France. En février 1716, le tsar quitte Saint-Pétersbourg pour un second voyage en Occident. La France n’est pas au programme initial des visites, mais il débarque avec sa suite à Zuydcoote le 21 avril 1717, avant de s’installer à Paris le 7 mai suivant.
À l’épreuve du protocole
Le 8 mai 1717 au matin, le régent Philippe d’Orléans effectue une première visite de bienvenue auprès du tsar. Le jeune Louis XV le rencontre le lundi 10 mai 1717, en milieu d’après-midi. Le tsar porte un costume d’apparat exécuté pour l’occasion, selon une coupe à la française. Les deux souverains s’installent dans un salon de réception ; le roi prononce un bref discours, suivi d’une série d’accolades. En portant et en embrassant le jeune Louis XV, le tsar bouscule le protocole, avec une spontanéité et un effet de surprise que l’artiste parvient à restituer.
Installé au centre, avec ses 2 m, Pierre le Grand est la grande vedette de la toile. Derrière lui, différents personnages sont repérables. L’homme habillé d’un velours vert pourrait être le comte de Tessé. Maréchal de France, celui-ci multiplie les missions diplomatiques depuis la fin du XVIIe siècle. Le 7 mai, il accueille le voyageur russe à Beaumont-sur-Oise, puis lui prête son carrosse pour son entrée dans Paris par la porte de Saint-Denis. Au premier plan à droite, le prince Boris Kourakine, diplomate des affaires européennes du tsar, tient le rôle d’interprète. Il arbore l’insigne de l’ordre de Saint-André, fondé par Pierre Ier à la fin du XVIIe siècle, dont le ruban bleu pâle ressemble étonnamment à celui des Français porteurs de l’ordre du Saint-Esprit. En 1724, Kourakine devient ambassadeur de Russie en France, jusqu’à sa mort en 1727.
Âgé de 7 ans, le jeune roi de France vient d’être confié aux hommes pour son éducation politique. Derrière lui, on reconnaît son précepteur, le cardinal de Fleury, alors que son gouverneur, le maréchal-duc de Villeroy, tend sa main gauche, comme surpris par le geste du tsar. Membre du Conseil de régence et chef du Conseil de commerce, ce dernier est également le propriétaire de l’hôtel de Lesdiguières, dans le quartier de l’Arsenal, où se déroule la rencontre. Troisième acteur de l’éducation du souverain, le duc du Maine, fils légitimé de Louis XIV, est probablement le personnage de profil au costume gris. Depuis le début de la Régence jusqu’à son éviction en août 1718, il occupe la fonction de surintendant de l’éducation du roi.
Un Russe à Paris
Le caractère symbolique de la scène fait presque oublier le moment exceptionnel d’une rencontre entre souverains au cours de la période moderne. Pour Louis-Philippe, l’un des enjeux est de s’inscrire dans la lignée de ses prédécesseurs, afin de revendiquer le rôle actif de la diplomatie française sur la scène internationale.
Le 11 mai 1717, le tsar de Russie rencontre le souverain aux Tuileries. Spontanéité et respect sont encore au rendez-vous. Dans les jours qui suivent, le prestigieux visiteur manifeste un grand intérêt culturel et scientifique, comme le rapporte le marquis de Dangeau dans son journal : « Il se fit admirer ici par sa curiosité extrême, qui atteignit à tout et ne dédaignat rien. » Le tsar multiplie les visites dans la capitale et les environs : le Louvre, le Jardin du roi, l’Observatoire, l’Opéra, les Académies, les Invalides, Fontainebleau, Sceaux, Meudon, Versailles, la manufacture des Gobelins, la maison d’éducation de Saint-Cyr, etc. Les 24 mai et 18 juin, le tsar retrouve une dernière fois le roi de France. Le 22 juin, il quitte le royaume de France par la Meuse.
Au plan diplomatique, ce séjour n’est pas décisif, car la France n’entend pas lâcher ses traditionnels alliés suédois et polonais. Le 15 août 1717, un traité d’amitié assorti d’avantages commerciaux est signé à Amsterdam entre la France, la Russie et la Prusse. Néanmoins, la supériorité territoriale de la Russie face à la Suède n’est pas reconnue, et la guerre du Nord, entamée en 1700, se poursuit jusqu’en 1721. Au final, Pierre Ier l’emporte sur la Suède. Le tsarat de Moscou devient la puissance dominante à l’est de l’Europe et son représentant obtient le titre d’empereur de toutes les Russies.
Le modèle français découvert au printemps 1717 n’est pas négligé, car le nouvel empereur s’y réfère régulièrement pour la modernisation politique et scientifique de ses États. Après les épreuves de la période napoléonienne, au cours de la première moitié du XIXe siècle, cette toile est une manière de rappeler, voire de ranimer les liens unissant la France à la Grande Russie.
FIRMIN Gwenola, LIECHTENHAM Francine-Dominique, SARMANT Thierry (dir.), Pierre le Grand : un tsar en France (1717), cat. exp. (Versailles, 2017), Paris, Lienart / Versailles, château de Versailles, 2017.
JACOB François, « Une visite peu ordinaire : Pierre le Grand à Paris (mai 1717) », dans JACOB François (dir.), La Russie dans l’Europe, cat. exp. (Genève, 2010), Chauray, La Ligne d’Ombre, coll. « Mémoires et documents sur Voltaire » (no 1), 2010, p. 19-41.
KISLUK-GROSHEIDE Daniëlle, RONDOT Bernard (dir.), Visiteurs de Versailles : voyageurs, princes, ambassadeurs (1682-1789), cat. exp. (Versailles, 2017-2018 ; New York, 2018), Versailles, château de Versailles / Paris, Gallimard, 2017.
MERVAUD Michel, « Pierre le Grand en France : les récits de Voltaire », Revue des études slaves, t. 83, fasc. 2-3 (VIELLARD Stéphane, TROUBETZKOY Laure, ASLANOFF Serge [dir.], La lettre et l’esprit : entre langue et culture. Études à la mémoire de Jean Breuillard), 2012, p. 847-870.
Stéphane BLOND, « Louis XV enfant visite le tsar Pierre Ier à l’hôtel de Lesdiguières », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 21/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/louis-xv-enfant-visite-tsar-pierre-ier-hotel-lesdiguieres
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