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Le Plan Marshall est en marche !

Le Plan Marshall est en marche !

Date de création : 1948

Date représentée : 1947-1948

Titre original : Freie Bahn dem MarshallPlan !

 

Domaine : Affiches

© BPK, Berlin, Dist. GrandPalaisRmn / image BPK

Lien vers l'image

24-533919

  • Le Plan Marshall est en marche !

Le plan marcha

Date de publication : Juin 2025

Auteur : Alexandre SUMPF

Un plan américain pour l’Europe

En 1948, quand l’affiche Freie Bahn dem MarshallPlan ! (Le Plan Marshall est en marche !) apparaît sur les murs des zones d’occupation américaine, britannique et française, l’Allemagne peine à se relever de la défaite. Plus encore que les territoires italiens et français, et quoique sans comparaison avec le territoire soviétique, le pays est en ruines, sa population déplacée et traumatisée, son économie pas encore reconvertie vers la production civile. Les maux de l’ancien « Reich de mille ans » symbolisent toutes les difficultés du continent ravagé par six années de conflit. L’European Recovery Program (E.R.P.) a été signé par 16 États le 20 septembre 1947, puis avalisé le 3 avril 1948 par le président américain Harry Truman. Ce plan dit Marshall, car présenté par le Secrétaire d’État George Marshall et élaboré par l’économiste Charles Kindlerberger, prévoit d’investir massivement pour la reconstruction de l’Europe. Il s’agit à 85% de dons et à 15% de prêts, consacrés à des achats de production américaine. L’enjeu est aussi politique : il s’agit de contrer l’influence croissante du communisme en Europe.

Réalisée par un dessinateur anonyme, sans doute pour les services de propagande interalliée en Allemagne, l’affiche Freie Bahn dem MarshallPlan ! délivre un message visuel aussi simple qu’efficace.

Un vent frais de liberté

Sur fond de ciel bleu neutre, et sur une piste sableuse jaune privée elle aussi de toute marque de reconnaissance, un camion militaire s’avance. Il porte sur sa calandre le sigle E.R.P. désignant le plan Marshall. Sur son toit sont alignés dans un ordre symbolique les drapeaux des quatre premiers bénéficiaires du plan – Royaume-Uni, Italie, Allemagne, France. De façon incongrue, les bandes tricolores des étendards italien et français sont horizontales et non verticales. Plus loin se profilent les emblèmes nationaux de la Belgique, des Pays-Bas, de la Suède – bref, des 15 signataires européens du plan. Le camion est saisi en mouvement, alors qu’il franchit une frontière (Grenze) ouverte et sans droits de douane (Zoll). Le mot « libre » s’affiche dans le ciel, comme un nuage poussé par le vent soufflant de l’Ouest.

Un libre-échange asymétrique

Le choix de la langue allemande articule la méthode américaine de propagande. Au premier abord, l’affiche s’adresse à la population et aux entrepreneurs allemands – elle pourrait d’ailleurs se décliner dans n’importe quelle langue du fait de sa totale neutralité. Plus subtilement, le message prend le contre-pied de la rhétorique impérialiste et militariste de Hitler en rendant à l’allemand son rôle de vecteur des idées libérales : l’unification allemande n’a-t-elle pas débuté en 1834 par la formation sur initiative prussienne d’un Zollverein, une union douanière ?

Les États européens sont placés à l’honneur, le toit de la cabine représentant à parts égales les vainqueurs (Royaume-Uni et France) et les vaincus (Allemagne et Italie). Deux drapeaux manquent évidemment à l’appel : celui de l’U.R.S.S., Staline ayant refusé de signer le plan à l’issue de la Conférence de Paris (27 juin-2 juillet 1947) (1), et celui des États-Unis. Ici, les propagandistes font preuve de discernement : il faut éviter que les Européens voient dans le plan une politique de conquête américaine. Dans cet ordre d’idées, l’image affiche en cinquième position le drapeau de la Suisse, qui est bien signataire de l’accord de 1947 mais ne compte pas bénéficier de l’argent américain. Le gouvernement des États-Unis envoie ce faisant un message subliminal de neutralité.

Or, si 16,5 milliards de dollars sont bien transférés entre 1948 et 1952 à 23 États, l’obligation d’acheter américain bénéficie en premier lieu à l’industrie nationale. Il s’agit d’une subvention massive de l’État fédéral pour reconvertir l’industrie de guerre en industrie de paix, notamment dans le domaine de la construction mécanique. Le camion aux couleurs militaires, qui rappelle le débarquement des troupes de l’Oncle Sam, symbolise autant le transfert de fonds que l’importation massive de machines et de véhicules américains, qui colonisent le marché européen et entravent le développement de filières nationales. Une série d’affiches figurant des mains serrées, des souches qui reverdissent, des nids reconstruits, plaident la coopération.

L’Europe est soutenue financièrement dans le but de contenir le communisme par le libéralisme et la reconstruction de l'économie. Ces nations unifiées par le plan Marshall et le dollar ne constituent toutefois pas une Europe libre de s’unir : elle doit avant tout ouvrir ses frontières aux productions d’Outre-Atlantique. En ce sens, l’Organisation économique de coopération économique (2) fondée en avril 1948 n’est pas une étape vers le Traité de Rome (3), mais un acte d’ouverture de l’Europe au marché mondial au service de l’American Way of Life (4) et du consumérisme.

Dans le cadre de la Guerre froide déclarée ouverte en 1947, l’intense campagne de publicité pour le Plan insiste en permanence sur la dette des Européens envers leurs libérateurs américains.

Gérard Bossuat, L'Europe occidentale à l'heure américaine. Le Plan Marshall et l'unité européenne, 1945-1952, Bruxelles, Complexe, 1992.

« Le Plan Marshall et le Relèvement économique de l'Europe : Colloque tenu à Bercy les 21, 22, 23, mars 1991 », Comité pour l'histoire économique et financière de la France (CHEFF), 1993.

Maud Quessard, Stratégies d’influence et guerres de l’information. Propagande et diplomatie publique des États-Unis depuis la guerre froide, Presses universitaires de Rennes, 2019

1 - Conférence de Paris (27 juin-2 juillet 1947) : chargée de convaincre les Soviétiques d'accepter l'offre du Plan Marshall, la Conférence de Paris réunit les ministres des Affaires étrangères français (Georges Bidault), britannique (Ernest Bevin) et russe (Viatcheslav Molotov). Molotov refuse d'accéder aux demandes américaines. L'URSS et l'ensemble du bloc soviétique ne participe pas au Plan Marshall.

2 - Organisation économique de coopération économique (O.E.C.E.) : créée en 1948, l'O.E.C.E. rassemblent 18 pays européens occidentaux. Elle est chargée de favoriser la coopération économique et le libre-échange entre ces pays. Elle se charge de répartir les crédits du Plan Marshall. En 1961, elle est remplacée par l'Organisation de coopération et de développement économiques (O.C.D.E.) qui compte désormais 37 pays.

3 - Traité de Rome : instituant la Communauté économique européenne (CEE), le Traité de Rome, signé  le 25 mars 1957 entre 6 pays, fonde l'actuelle Union Européenne (U.E.)

4 -American Way of Life (mode de vie américain) : l'expression American Way of Life utilisée à l'après-guerre renvoie à un mode de consommation de l'ensemble de la population européenne influencé par celui des Étatsuniens, notamment par des biens importés par les États-Unis (électroménager mais aussi les chewing-gums, les sodas...).

Alexandre SUMPF, « Le plan marcha », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 03/07/2025. URL : https://histoire-image.org/etudes/plan-marcha

En savoir plus sur le Plan Marshall, Chemins de Mémoires

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