L'Empereur et l'Impératrice reçus chez le sénateur-comte Mimerel à Roubaix, le 29 août 1867.
Auteur : JACQUAND Claudius
Lieu de conservation : musée national du château de Compiègne (Compiègne)
site web
Date de création : 1867
Date représentée : 29 décembre 1867
H. : 99 cm
L. : 132 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© Photo RMN - Grand Palais - F. Raux
05-510416 NU / C86002
L'Empereur et l'Impératrice reçus chez le sénateur-comte Mimerel
Date de publication : mai 2005
Auteur : Alain GALOIN
En 1867, le prestige du régime impérial est déjà fort terni, en France comme à l’étranger. À partir de 1865, l’autorité de l’empereur décline : il est malade et sa volonté faiblit. De 1860 à 1870, l’empire autoritaire cède peu à peu la place à l’empire libéral avec, entre autres, le rétablissement du droit de grève le 24 mai 1864 et du droit d’interpellation du gouvernement le 31 janvier 1867. La politique extérieure, si brillante au début du Second Empire, est devenue incertaine. La France essuie partout des échecs : désastreuse expédition du Mexique, humiliante politique des « pourboires » avec la Prusse… En 1866, la victoire prussienne de Sadowa sur l’Autriche met clairement en évidence la supériorité militaire du vainqueur et les ambitions unificatrices de Bismarck, par ailleurs profondément convaincu que l’unité allemande ne peut naître que d’une guerre contre la France.
Du 26 au 29 août 1867, l’empereur Napoléon III et l’impératrice Eugénie effectuent un voyage officiel dans le nord de la France pour commémorer le bicentenaire du rattachement des villes de Flandre au territoire français – conquises par Louis XIV en 1667, elles ont été officiellement et définitivement intégrées au royaume par le traité d’Aix-la-Chapelle, conclu avec l’Espagne le 2 mai 1668. Les souverains s’arrêtent successivement à Arras, Lille, Dunkerque, Tourcoing, Roubaix et Amiens. Ils visitent des établissements industriels, hospitaliers, pénitentiaires, comme ils le font traditionnellement au cours de leurs déplacements officiels, mais ce voyage est surtout l’occasion, pour Napoléon III, de faire prendre conscience à la population de la gravité de la situation internationale et de préparer les esprits à un éventuel conflit avec la Prusse. Les discours qu’il prononce à Arras et, surtout, à Lille, sont, à cet égard, révélateurs : « Des points noirs sont venus assombrir notre horizon », déclare l’empereur, qui termine cependant son allocution en incitant les Français à la confiance.
Le 29 août 1867 est le dernier jour du voyage officiel des souverains dans le nord de la France. Après s’être arrêté à Tourcoing, le couple impérial se rend à Roubaix. Reçus à la mairie par les autorités, l’empereur et l’impératrice visitent ensuite des établissements industriels, notamment la très importante filature de coton fondée par Auguste Mimerel chez qui ils déjeunent.
Auguste Mimerel (1786-1871), qui est alors âgé de 81 ans, est un personnage tout à fait considérable. Député du Nord à l’Assemblée législative en 1849, il est membre de la Commission consultative chargée de l’examen des dossiers électoraux à la suite du plébiscite des 21 et 22 décembre 1851. Il fait partie, dès le mois de janvier 1852, des premiers sénateurs désignés. Enfin, il est élevé à la dignité de comte héréditaire par lettres patentes du 20 mai 1866.
Le tableau de Claudius Jacquand montre le sénateur au comble de la faveur impériale, au moment où les souverains, qui ont accepté de déjeuner chez lui, viennent d’arriver dans sa maison. On aperçoit au fond une table dressée. Auguste Mimerel, debout à droite dans son bel habit brodé de sénateur, parle à l’empereur. Derrière lui, son fils Édouard (1812-1889) qui, à ce moment, dirige effectivement la filature, et son petit-fils Armand (1839-1889) se tiennent par la main en cette minute si importante pour leur famille. Du côté des dames, Joséphine, l’épouse d’Auguste Mimerel, est en robe grise au second plan. Auprès d’elle, à sa gauche, vêtue de noir, se tient sa bru, Laure, épouse d’Édouard. Enfin, sur la gauche du tableau, Julie-Émilie, épouse d’Armand, pousse devant elle la petite Laure, sa fille, qui présente à l’impératrice assise un cadre contenant un rameau de buis bénit, distribué dans la chapelle des Tuileries lors de l’ondoiement du prince impérial le 17 mars 1856. Quatre générations de Mimerel figurent donc sur ce tableau, peut-être même cinq, car il y a lieu de croire que les portraits accrochés au mur, à gauche, sont ceux des parents d’Auguste Mimerel, dont le père avait été juge-consul à Amiens en 1789.
Claudius Jacquand a détaillé cette scène avec une minutie anecdotique, probablement sur la demande d’Auguste Mimerel avec qui il était lié.
Cette œuvre de Claudius Jacquand est intéressante à plus d’un titre. Le peintre a matérialisé sur la toile un événement qui témoigne de l’ascension sociale d’une famille de manufacturiers parvenue à son apogée. La famille Mimerel est originaire d’Amiens, donc de souche picarde. Sous l’Ancien Régime, elle appartenait à la puissante corporation des marchands-drapiers. Pendant au moins cinq générations, elle a donné à la ville d’Amiens des consuls et des échevins. En 1820, le mariage de Charles-Antoine Mimerel avec Adèle Delahoutre, fille du maire de Roubaix, entraîna l’exode de la famille vers le Nord. Le frère cadet de Charles-Antoine, Auguste Mimerel, commanditaire du tableau de Claudius Jacquand, créa à Roubaix d’importantes filatures. Il fut maire de Roubaix, sénateur, président du Conseil général du Nord et du Conseil des manufactures. Il fut également l’un des principaux promoteurs du canal de Roubaix et fondateur du Patronat français. Thomas Couture (1815-1879) réalisa son portrait en 1850.
Le tableau met également en évidence les liens étroits qui ont uni le Second Empire à certaines familles appartenant à la grande bourgeoisie industrielle et commerçante. En effet, au début du règne de Napoléon III, les milieux industriels, les grands patrons de l’industrie textile en particulier, soutiennent le régime. En 1860 cependant, l’empereur, sensible aux arguments des saint-simoniens de son entourage autant que désireux d’une alliance avec le Royaume-Uni, signe le traité de commerce franco-anglais et précipite une évolution vers le libre-échange qui lui aliène l’appui des milieux patronaux, favorables au maintien d’une politique protectionniste. Auguste Mimerel demeure néanmoins fidèle au régime impérial comme en témoigne l’accueil chaleureux qu’il prodigue aux souverains lors de leur passage à Roubaix, mais cette fidélité courageuse le discrédite aux yeux du patronat, hostile au libéralisme des échanges.
Enfin, s’il existe d’innombrables figurations de l’empereur et de l’impératrice dans des scènes de la vie publique, leur représentation dans ce que l’on pourrait appeler des « scènes de la vie privée », comme c’est le cas ici, est beaucoup plus rare.
Éric ANCEAU, Dominique BARJO, Isabelle LESCENT-GILES et Bruno MARNOT (collectif), Les Entrepreneurs du Second Empire, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2003.Jean-Marie MOULIN, « Musée national du Château de Compiègne.Acquisitions récentes (1978-1986) pour le musée du Second Empire », in La Revue du Louvre et des Musées de France, 1-1988.Dominique RICHARD, Biographie et catalogue raisonné de l’œuvre peint de Claudius Jacquand (1803-1878), Travaux de l’Institut d’histoire de l’art de Lyon, cahier n° 7, 1984.Dominique RICHARD, « Claudius Jacquand, « cet habile artiste » », in Bulletin du Musée Ingres, n° 45, juillet 1980.Jean TULARD (sous la direction de), Dictionnaire du Second Empire, Paris, Fayard, 1995.
Alain GALOIN, « L'Empereur et l'Impératrice reçus chez le sénateur-comte Mimerel », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 14/12/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/empereur-imperatrice-recus-senateur-comte-mimerel
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Sandoval
Il est à remarquer que si Laure Scrive (1817-1863), épouse d'Edouard Mimerel, figure sur le tableau, elle ne put être présente, en 1867, lors de la réception de l'empereur. La femme d'Armand Mimerel était née Emilie Tripier (1843-1885). Quant à la petite Laure (1864-1883), il semble qu'elle soit restée célibataire. Son frère, Auguste Mimerel (1867-1928), sera le dernier comte Mimerel ; sa femme, née Marie-Agnès de Gosselin, périt dans le tragique incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897. Notons d'ailleurs qu'Armand Mimerel épousera en secondes noces Jeanne Barbedienne (1850-1900), nièce du Sénateur Wallon, celui à qui la IIIe République naissante dut ses lois fondamentales.
Cordob
Si un érudit roubaisien tombe sur ce texte, je serais curieux de savoir si à l'occasion des visites de l'Impératrice à Roubaix la ville offrait des corridas au public.
Je sais qu'il y avait régulièrement des corridas à l'époque à Roubaix et que l'on en organisait à Vichy pour Eugénie qui en était friande. Mais j'ignore quels étaient les programmes des voisites roubaisiennes de l'Empereur !
Merci
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