Discours de la Lanterne aux Parisiens.
Pendaison de Joseph-François Foulon à l'angle de la rue du Mouton et de la place de Grève
Le Général Dalton poursuivi par les réverbères patriotiques.
Louis XVI et Marie-Antoinette à la lanterne.
Discours de la Lanterne aux Parisiens.
Lieu de conservation : Centre historique des Archives nationales (Paris)
site web
Date de création : 1789
Date représentée : 1789
H. : 14,1 cm
L. : 9,9 cm
Discours de la lanterne aux parisiens, le Procureur Général portant la parole. Frontispice du Discours de la Lanterne aux Parisiens par Camille Desmoulins.
Domaine : Presse
© Centre historique des Archives nationales - Atelier de photographie
Bibl. hist. PEY 582
A la lanterne !
Date de publication : mai 2005
Auteur : Luce-Marie ALBIGÈS
La montée de la violence en juillet 1789
Le renvoi de Necker par le roi, en juillet 1789, apparaît dans le contexte angoissé et agité de la capitale comme le signal de la banqueroute et de la contre-révolution. Il suscite la prise de la Bastille, le 14 juillet. Mais la Bastille n’est pas l’enjeu capital de la bataille. Les troubles généralisés révèlent autant la menace vitale éprouvée par la communauté pour son existence que l’affaiblissement de l’État car, jusqu’ici, sa puissance s’affirmait par sa capacité à s’assurer du monopole de l’exercice de la violence.
Renaît alors une archaïque tradition du massacre ; il suffit que circule une rumeur de complot, imaginaire ou réel, et la foule s’enflamme pour punir les « coupables », de façon préventive. Le 22 juillet, Foulon de Doué, qui a remplacé Necker aux Finances, et l’intendant de Paris Bertier de Sauvigny, son gendre, sont recherchés, lynchés et pendus par la foule à une lanterne place de Grève, car ils passent pour les agents d’une politique contre-révolutionnaire.
Des pamphlets anonymes attisent ces mouvements populaires et poussent à une justice expéditive. La terreur qui se répand est due aux foules, mais n’est pas encore à cette date le fait des militants révolutionnaires. L’Assemblée constituante, bien loin d’entrer dans les vues du peuple, agit comme un frein aux exactions. C’est seulement à partir du début de 1791 que cette pratique populaire sera reprise par les échelons inférieurs du pouvoir, qui s’en approprieront les méthodes pour briser les oppositions.
La lanterne, symbole de la justice populaire
Discours de la Lanterne aux Parisiens
Camille Desmoulins (1760-1794), qui a appelé à l’insurrection du 12 juillet 1789 au Palais-Royal, relance sa popularité grâce au Discours de la Lanterne aux Parisiens, pamphlet paru peu après l’exécution sommaire de Foulon et de Bertier de Sauvigny (22 juillet).
Dès la première page, une gravure le met en scène sous le surnom de « Procureur Général de la Lanterne ». Entouré d’un auditoire attentif et paisible de Parisiens de toutes conditions, il s’adresse à cette fatale lanterne. Située sur la place de Grève, en face de l’Hôtel de Ville, elle est simplement placée au-dessus d’un buste de Louis XIV, à l’angle d’une boutique d’épicier-droguiste, fabricant de chocolat. Le réverbère ayant été enlevé, il ne reste que la branche de fer au-dessous de laquelle les émeutiers ont traîné en hurlant les hommes qu’ils voulaient pendre. Le cri lugubre « À la lanterne ! » date de ces exécutions sommaires.
L’aimable mise en scène de la gravure qui encense la lanterne comme symbole bénéfique de la justice populaire expéditive va de pair avec le sinistre projet du Discours : justifier dans un écrit le lynchage par la populace. Le pamphlet enfile les apostrophes ironiques et brillantes en les justifiant a posteriori par un complot douteux et par l’efficacité de l’action. Desmoulins sympathise non seulement avec l’enthousiasme, mais aussi avec la violence et la cruauté des foules parisiennes, et rend un abominable hommage à leurs excès.
D’emblée l’épigraphe affiche son humour irrésistible : le verset bien connu de l’Évangile selon Jean « celui qui fait le mal hait la lumière » (III, 20) – attribué par dérision à saint Matthieu – est pourvu d’une traduction iconoclaste : « Les fripons ne veulent point de lanterne. » Brocarder la religion est dans l’air du temps, face à la puissance lézardée de l’Église. Bientôt le peuple investira les anciens couvents et les églises désaffectées pour y créer des clubs et des sections de quartier.
Le supplice de Foulon, d’après Jean-Louis Prieur
Le dessin de Prieur révèle la réalité de l’événement. S’il ne fait pas grand cas du supplice de Foulon montré de loin, la charge de colère et de vengeance qui mène l’immense foule exalte une liberté sauvage, imprévisible et dangereuse. Rares sont les œuvres qui décrivent sur le vif les foules révolutionnaires et les formes ritualisées que s’approprie la justice populaire. Cette première pendaison à la lanterne a lieu place de Grève, devant l’Hôtel de Ville, dans le cadre où se sont déroulés pendant des siècles les supplices prononcés par la justice royale. Ce passé dramatique donne sens sous la Révolution à ce lieu d’où partent, ou vers lequel convergent, les grands mouvements sacrificiels tendant à signifier la suprématie de la masse contre les corps constitués et les lois.
Le général Dalton poursuivi par les réverbères patriotiques
Desmoulins lance, en novembre 1789, Les Révolutions de France et de Brabant, journal qui doit répandre les idées nouvelles au-delà des frontières, dans « le Brabant, Liège et les pays étrangers qui, à l’exemple de la France, arborant la cocarde et demandant une assemblée nationale, mériteront d’occuper une place dans nos feuilles ». À côté du lion, emblème du Brabant (à peu près la Belgique actuelle), le général Richard Dalton (1715-1790), responsable de massacres, est poursuivi par les réverbères patriotiques. L’idée de la suprématie de la justice populaire expéditive circule sous le symbole de la lanterne. Desmoulins en fait le leitmotiv de son journal, et ce sera bientôt le plus répandu des symboles révolutionnaires : un rappel ironique, provocateur et menaçant de la vigilance du peuple.
Louis XVI et Marie-Antoinette à la lanterne
Après la suspension du roi, le 10 août 1792, paraissent chez Villeneuve deux gravures qui montrent les têtes de Louis XVI et de Marie-Antoinette suspendues dans des lanternes. La guillotine fonctionne depuis le 25 avril 1792, mais si la pendaison n’a plus cours, le symbole de la lanterne signifie sans équivoque la condamnation à mort pour les souverains. « Cette suspension vaut bien une déchéance », ironise la gravure de Louis XVI ; celle de Marie-Antoinette la couvre d’insultes, l’assimilant à Messaline et à une Médicis dans des termes proches de son acte d’accusation (12 octobre 1793).
Former l’esprit public ou flatter l’opinion ?
En juillet 1789, le sentiment populaire est que le pouvoir politique doit voir clair, être vigilant, démasquer les traîtres et les punir. Desmoulins a su lui donner avec la lanterne un symbole qui correspond bien au rôle nouveau que doit assumer la nation à l’aube de la Révolution.
Brillant journaliste et pamphlétaire, il est désireux de fondre l’opinion hésitante en un esprit public. Espère-t-il concilier la Révolution du peuple, qui prend alors la forme d’à-coups sauvages, d’indiscipline et d’exécutions de rue, avec celle que la classe intellectuelle mène selon les évidences de la raison ?
Desmoulins, qui appellera à la clémence en 1794, ne montre aucune pitié en 1789 mais flatte bassement ceux qui l’ont rendu célèbre, sans peut-être en mesurer les conséquences. Robespierre l’a décrit comme « un composé bizarre de vérités et de mensonges, de politique et d’absurdités, de vues saines et de projets chimériques et particuliers ».
Daniel ARASSE, La Guillotine et l’imaginaire de la Terreur, Paris, Flammarion, 1987.
Jean-Paul BERTAUD, La Presse et le pouvoir de Louis XIII à Napoléon Ier, Paris, Perrin, 2000.
Patrice GUENIFFEY, La Politique de la terreur. Essai sur la violence révolutionnaire, 1789-1939, Paris, Fayard, 2000.
Luce-Marie ALBIGÈS, « A la lanterne ! », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/lanterne
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