Louis Philippe, la famille royale et le roi Léopold Ier, visitant la grande salle des Croisades du château de Versailles. Juillet 1844.
Auteur : LAFAYE Prosper
Lieu de conservation : musée national du château de Versailles (Versailles)
site web
Date représentée : juillet 1844
H. : 60 cm
L. : 85 cm
Huile sur toile
Domaine : Peintures
© Château de Versailles, Dist. RMN - Grand Palais / Christophe Fouin
MV 6873 - 19-516376
La Salle des Croisades de Versailles
Date de publication : Août 2005
Auteur : Delphine DUBOIS
L’« invention » du Moyen Âge à l’époque romantique
La découverte et l’étude du Moyen Âge, commencées au XVIIIe siècle, s’amplifient au XIXe siècle sous l’impulsion du romantisme triomphant qui lie Moyen Âge, nation et âme des peuples : création du musée des Monuments français en 1794 ; Hugo publie Notre-Dame de Paris en 1831 ; le Louvre acquiert deux importantes collections d’objets médiévaux (celle d’Edmé-Antoine Durand en 1825 et celle de Pierre Révoil en 1828) ; le musée de Cluny est inauguré en 1844 ; Viollet-le-Duc restaure les sites médiévaux majeurs pendant le Second Empire. Dès 1834, Louis-Philippe, dans le musée de l’histoire de la France qu’il vient de créer à Versailles, décide de consacrer aux croisades une salle du premier étage, derrière le salon d’Hercule. Cet espace trop étroit est vite abandonné pour le rez-de-chaussée de l’aile nord ; les « salles des Croisades » sont ouvertes au public en 1843. Pour les meubler Louis-Philippe commande 150 tableaux et plus de 300 figures ; les portes de l’hôpital construit par les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem sont rapportées de Rhodes pour être insérées dans le magnifique décor néogothique qu’elles ont inspiré à l’architecte Nepveu. Louis-Philippe innove en créant des salles dédiées aux croisades en tant qu’événements historiques et non comme prétexte à glorifier un personnage ou un état (toiles commémorant les victoires vénitiennes dans le palais des Doges).
Un décor néogothique
Le décor typique de la grande salle des Croisades est fidèlement reconstitué. On reconnaît immédiatement le priant de Philippe de Villiers de l’Isle-Adam (provenant de l’église du prieuré du Temple à Paris, XVIe siècle) ; les beaux lustres monumentaux réalisés par les bronziers Chaumont et Marquis qui restèrent peu de temps accrochés (actuellement au château de Pau) ; les banquettes sculptées ; les pilastres centraux, œuvre du stucateur Crovatto ; les écussons peints et les plafonds à caissons réalisés par le peintre doreur Joseph Jorand ; au fond, le tableau de Merry Joseph Blondel, La Ville de Ptolémaïs remise à Philippe-Auguste et à Richard Cœur-de-Lion, le 13 juillet 1191 ; à droite, la toile d’Édouard Odier Levée du siège de Rhodes. 19 août 1480.
Placé au fond de la salle, le peintre se retourne pour regarder les membres de la famille royale. Le groupe du premier plan réunit la duchesse de Nemours avec son fils Louis-Philippe-Marie-Gaston d’Orléans, comte d’Eu (1842-1922) et son neveu Louis-Philippe-Albert d’Orléans, comte de Paris (1838-1894) ; la duchesse d’Aumale (tête nue et robe blanche) ; la duchesse d’Orléans (1814-1858) en deuil acccompagnée de son second fils Robert-Philippe-Louis d’Orléans (1840-1910). Juste derrière eux se tiennent le duc de Montpensier (1824-1890), fils cadet de Louis-Philippe ; la princesse de Joinville (1824-1898) ; deux autres des fils de Louis-Philippe, le duc d’Aumale (1822-1897) et le prince de Joinville (1818-1900). Au second plan, à gauche, se trouvent le duc de Nemours (1814-1896), qui donne le bras à sa tante, Madame Adélaïde, sœur du roi ; Léopold Ier, roi des Belges ; la reine Marie-Amélie ; Louis-Philippe ; la reine Louise de Belgique qui est aussi la fille aînée du roi des Français. Toute la famille royale est réunie et se promène dans les salles nouvellement ouvertes qu’elle fait visiter aux souverains belges lors de leur visite officielle en 1844.
Le roi bourgeois
Le spectateur est intégré à la composition, il peut se croire invité à suivre la visite que Louis-Philippe est en train de commenter aux souverains de Belgique. Cette impression d’intimité est renforcée par les regards à la fois curieux et amicaux que jettent la duchesse et le duc d’Aumale dans notre direction ; les jeunes époux – représentés l’année de leur mariage – associent le spectateur à leur vaste famille.
Aucune étiquette rigide, ni cérémonial ni protocole particuliers : les deux souverains évoluent en tant que beau-père et beau-fils, bien plus qu’en chefs d’État. La rencontre se fait dans l’intimité, en dehors de quelques valets à gauche et de trois autres personnages à droite ; seule la famille royale occupe le vaste espace de la salle, ce qui explique certainement l’absence d’ostentation et de décorum : Louis-Philippe prend galamment le bras de sa fille tandis que Léopold Ier offre le sien à Marie-Amélie ; les enfants et les petits-enfants de Louis-Philippe évoluent gentiment, les tout-petits sont placés au premier rang, et tous trois regardent le spectateur comme pour le prendre à témoin du bonheur et des liens qui unissent les membres de leur famille ; des groupes se sont formés par affinités : les trois jeunes mères au premier plan comparent les progrès de leurs chers petits ; derrière elles, les trois plus jeunes fils du roi et la princesse de Joinville discutent gaiement. Placé à peu près au centre de la composition, Louis-Philippe est représenté tel un pater familias entouré des siens : à sa droite légèrement en retrait son fils aîné (le duc d’Orléans est mort en 1842) et devant lui au premier plan la toute jeune succession.
Toutefois, il n’est pas innocent de présenter ce portrait de la famille royale au sein du décor néogothique de la grande salle des Croisades. En effet, celles-ci furent le creuset où se créa et s’illustra la fine fleur de la noblesse au sens antique du terme, à savoir ces preux vaillants et intrépides que le roi de France adoubait à l’issue des batailles livrées aux « infidèles » pour leur reprendre les lieux saints. Louis-Philippe, roi des Français, placé sur l’antique trône des rois de France après deux révolutions et un empire, devait être particulièrement sensible à ces évocations des heures fastes et glorieuses de la noblesse d’épée dont il se revendiquait ; cette immersion dans l’épisode des croisades étant aussi un moyen pour le nouveau roi de faire taire les légitimistes, qui ne voyaient en lui qu’un homme usurpant le trône.
Claire CONSTANS, Les Peintures.Musée national du Château de Versailles, Paris, RMN, 1995.Claire CONSTANS et Philippe LAMARQUE, Les Salles des Croisades.Château de Versailles, Paris, Éditions du Gui, 2002.
Delphine DUBOIS, « La Salle des Croisades de Versailles », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 23/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/salle-croisades-versailles
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