Aller au contenu principal
Le Trois mai 1808 - Le Tres de Mayo

Le Trois mai 1808 - Le Tres de Mayo

Date de création : 1814

Date représentée : 3 mai 1808

H. : 268 cm

L. : 347 cm

huile sur toile

Domaine : Peintures

Domaine Public © CC0 Museo Nacional del Prado

Lien vers l'image

P000749

  • Le Trois mai 1808 - Le Tres de Mayo

Le Trois mai 1808

Date de publication : Juin 2023

Auteur : Paul BERNARD-NOURAUD

Le trois mai 1808, El tres de Mayo de Goya

Le trois mai 1808, El tres de Mayo de Goya

Le soulèvement des Madrilènes et ses conséquences

Le 2 mai 1808, apprenant l’abdication du trône d’Espagne de leur roi, Charles IV, en faveur de Joseph Bonaparte, les Madrilènes se soulèvent contre les troupes napoléoniennes qui sont déjà entrées dans la capitale espagnole. Les affrontements les plus violents se concentrent autour de lieux emblématiques de la ville, comme la Puerta del Sol ou les jardins du Prado. Ils mettent aux prises des insurgés civils (hommes et femmes) avec divers corps de la force d’occupation, parmi lesquels des dragons et des Mamelouks de l’ancienne armée d’Égypte.

Dans Le Deux mai 1808 (Le Dos de Mayo)(1814, musée du Prado), l’ancien peintre du roi Francisco Goya (1746-1828) a saisi la furie qui s’est emparée des différents protagonistes de ces combats qui marquent le début de la Guerre d’indépendance espagnole qui ne s’acheva qu’en 1813, avec le départ des soldats français de la péninsule ibérique. Mais Goya représenta aussi, la même année 1814, les conséquences de ce soulèvement initial : la sanglante répression décidée le jour d’après par le commandant français sur place, Joachim Murat, à l’encontre des insurgés de Madrid.

Une fusillade nocturne

Du fond ténébreux signalant que la scène se déroule la nuit, deux masses aux tons terreux se détachent : au lointain, à droite de la composition, la silhouette d’une ville, avec son clocher et sa porte d’où parvient une masse indistincte de prisonniers ; à gauche, un flanc de colline devant lequel ces derniers sont regroupés. L’attitude des victimes à venir se lit aussi bien sur leurs visages qu’au travers des gestes de leurs mains qui paraissent se répondre entre elles. Ainsi, deux personnages se cachent le visage, l’un par désespoir, l’autre par peur, semble-t-il, deux autres serrent les poings en signe de prière ou de rage, tandis que la figure la plus visible, en écartant largement les bras en signe de défi ou d’impuissance, ouvre grand ses mains vers le ciel, dans le même mouvement que l’homme mort gisant à ses pieds face contre terre.

À l’opposé, les tireurs, quant à eux, alourdis par leurs manteaux, leurs havresacs et leurs shakos, n’adoptent qu’une seule attitude, celle qui les fait s’arquer sur leurs fusils à baïonnettes qu’ils dirigent depuis la droite du tableau vers les prisonniers désarmés massés à gauche. Cette orientation particulièrement accentuée contrevient à une certaine habitude visuelle qui tend, dans la tradition de la composition européenne, à suivre un sens de lecture de gauche à droite, généralement identifié au passage du présent au futur. En jetant ses feux elle aussi à contre-courant, l’étrange lanterne placée quasiment au centre du tableau, entre les deux partis, renforce la sensation d’une temporalité contrariée, dont l’issue fatale ne peut être que la mort de celui qu’elle éclaire le plus intensément de ses propres couleurs.

Une ère nouvelle pour le tableau d’histoire

Au sujet de cette figure, un détail a souvent intrigué les observateurs les plus minutieux de la peinture de Goya. Celui-ci en a en effet marqué la main gauche de ce qui ressemble à s’y méprendre à un stigmate (1), autorisant, à partir de cet indice, une relecture christologique (2) de l’ensemble du tableau. L’interprétation qu’on peut en donner est en réalité plus complexe, car si la ville au loin pourrait être Jérusalem, elle ressemble davantage à une cité moderne ; si la butte fait songer au Golgotha (1), elle n’en a pas la grandeur, d’autant moins que le martyre n’a pas lieu ici en son sommet mais en contrebas, quasiment dans une fosse où il ne dure que l’instant d’une salve. Autrement dit, si le peintre espagnol évoque bien le registre de la Passion (1), simultanément il le révoque, sa peinture n’offrant aucun espoir de salut, et moins encore de résurrection. Avec Goya, désormais, la figuration de la souffrance humaine n’est plus du ressort exclusif de la figure christique.

De ce point de vue, Le Trois mai 1808 fait entrer le tableau d’histoire, dont il respecte les dimensions imposantes, dans une ère nouvelle. Sa peinture de guerre apparaît en effet comme le revers terrifiant des grandes machines néoclassiques à l’ordonnancement stricte, comme le Sacre de Napoléon (1806, musée du Louvre) de Jacques-Louis David, ou à la violence contenue, telle La Bataille d’Eylau (1808, musée du Louvre) d’Antoine-Jean Gros. Le choix de Goya, historiquement fondé, de commémorer la résistance à l’envahisseur en ne représentant que des figures anonymes et populaires, sans symbole ni allégorie, explique sans doute que, tout en rétribuant le peintre pour son initiative, la monarchie espagnole ait longtemps préféré ne pas exposer les deux tableaux en public. Ce destin paradoxal, Le Trois mai 1808 le partage d’ailleurs avec un autre tableau d’histoire révolutionnaire devenu, en France cette fois, l’emblème de tout un peuple : La Liberté guidant le peuple (1830, musée du Louvre) d’Eugène Delacroix.

Mooc Picasso : l'engagement politique et Guernica : les influences de Poussin, Michel-Ange et Goya - Vidéo du Grand Palais

Los fusilamientos de Francisco de Goya - Vidéo du Museo Nacional del Prado, en espagnol, sous-titre anglais

 

Jeannine BATICLE, Goya d’or et de sang, Paris, Gallimard, 2005.

Werner HOFMANN, Goya. Du ciel à l’enfer en passant par le monde, Paris, Hazan, 2014.

Manuela B. MENA MARQUES (dir.), Goya en tiempos de guerra, Madrid, musée du Prado, El Viso, 2008.

Victor I. STOÏCHITA, Anna-Maria CODERCH, Le Dernier carnaval. Goya, Sade et le monde à l’envers, Paris, Hazan, 2016.

Sarah SYMMONS, Goya, Londres, Phaidon, 2002.

1 - Stigmates du Christ : les stigmates sont des plaies, celles du Christ correspondent aux plaies laissées par le supplice de la croix (aux mains, aux pieds et au coté droit). Elle sont un des symboles de la Passion du Christ crucifié sur le mont Golgotha près de Jérusalem. Les représentations de la Crucifixion du Christ en peinture montrent fréquemment en arrière-plan Jérusalem, parfois considérée comme la Jérusalem céleste

2- Christologie : dans la religion chrétienne, théologie et dogme qui traite de la personne et de la mission du Christ.

Peinture d'histoire : Genre pictural majeur représentant des scènes inspirées de l’histoire, de la religion, de la mythologie ou de la littérature.

Paul BERNARD-NOURAUD, « Le Trois mai 1808 », Histoire par l'image [en ligne], consulté le 24/11/2024. URL : https://histoire-image.org/etudes/trois-mai-1808

Comparer l'étude de L’Exécution de l’empereur Maximilien d'Edouard Manet.

Découvrir l'analyse du tableau sur le site de Panorama de l'art

Ajouter un commentaire

HTML restreint

  • Balises HTML autorisées : <a href hreflang> <em> <strong> <cite> <blockquote cite> <code> <ul type> <ol start type> <li> <dl> <dt> <dd> <h2 id> <h3 id> <h4 id> <h5 id> <h6 id>
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Cette question sert à vérifier si vous êtes un visiteur humain ou non afin d'éviter les soumissions de pourriel (spam) automatisées.

Mentions d’information prioritaires RGPD

Vos données sont sont destinées à la RmnGP, qui en est le responsable de traitement. Elles sont recueillies pour traiter votre demande. Les données obligatoires vous sont signalées sur le formulaire par astérisque. L’accès aux données est strictement limité aux collaborateurs de la RmnGP en charge du traitement de votre demande. Conformément au Règlement européen n°2016/679/UE du 27 avril 2016 sur la protection des données personnelles et à la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 modifiée, vous bénéficiez d’un droit d’accès, de rectification, d’effacement, de portabilité et de limitation du traitement des donnés vous concernant ainsi que du droit de communiquer des directives sur le sort de vos données après votre mort. Vous avez également la possibilité de vous opposer au traitement des données vous concernant. Vous pouvez, exercer vos droits en contactant notre Délégué à la protection des données (DPO) au moyen de notre formulaire en ligne ( https://www.grandpalais.fr/fr/form/rgpd) ou par e-mail à l’adresse suivante : dpo@rmngp.fr. Pour en savoir plus, nous vous invitons à consulter notre politique de protection des données disponible ici en copiant et en collant ce lien : https://www.grandpalais.fr/fr/politique-de-protection-des-donnees-caractere-personnel

Partager sur

Découvrez nos études

L’assassinat du duc de Guise

L’assassinat du duc de Guise

Ce tableau est une réplique d’atelier d’une œuvre conservée au musée Condé du château de Chantilly. Le tableau original a été commandé par…

L’exécution de l’empereur Maximilien du Mexique

L’exécution de l’empereur Maximilien du Mexique

L’écho de la mort d’un empereur

Le 8 juillet 1867, Le Figaro informe ses lecteurs français de l’exécution de l’empereur Maximilien du Mexique,…

Archéologie et imaginaire néogrec au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle : Ingres, Papéty et Gérôme

Archéologie et imaginaire néogrec au milieu du XIXe siècle : Ingres, Papéty et Gérôme

Tradition néoclassique et mouvement néogrec

Si elle continue de nourrir la peinture d’histoire comme la peinture de genre, la référence à l’…

Archéologie et imaginaire néogrec au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle : Ingres, Papéty et Gérôme
Archéologie et imaginaire néogrec au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle : Ingres, Papéty et Gérôme
Archéologie et imaginaire néogrec au milieu du XIX<sup>e</sup> siècle : Ingres, Papéty et Gérôme
Philippe Auguste et Paris

Philippe Auguste et Paris

Auguste et fondateur

Le nom de Philippe Auguste, c’est-à-dire Philippe II, est étroitement associé à l’essor de Paris au XIIIe siècle sur le plan…

Louis XIII et Poussin

Louis XIII et Poussin

Un grand décor historique

Initialement commandée en 1828 pour le musée Charles-X, qui accueillait les antiquités égyptiennes et gréco-romaines…

La mort de Roland

La mort de Roland

Le mythe de Roncevaux

Seul épisode fameux du règne de Charlemagne qui n’implique pas directement le futur empereur d’Occident, la mort tragique de…

Adélaïde Labille-Guiard

Adélaïde Labille-Guiard

Le triomphe d’une académicienne

En 1785, dans le salon carré du Louvre, non loin du Serment des Horaces de Jacques Louis David (1748-1825),…

Géricault et l’abolitionnisme

Géricault et l’abolitionnisme

Entre les deux abolitions de l’esclavage

Le 4 février 1794, la Convention abolit l’esclavage en France et dans ses possessions ultramarines avant…

La Prise de Constantinople par les croisés

La Prise de Constantinople par les croisés

Louis-Philippe, intronisé « roi des Français » le 9 août 1830 après les Trois Glorieuses (27-29 juillet 1830), était féru d’histoire comme tout…

Prix décennaux, un débat esthétique

Prix décennaux, un débat esthétique

Un débat esthétique impliquant l’Empereur

En 1802, Bonaparte commande à l’Institut de France, qui remplace les académies royales supprimées par…

Prix décennaux, un débat esthétique
Prix décennaux, un débat esthétique
Prix décennaux, un débat esthétique